Taslima Nasreen

Écrivaine bangladaise

Publié le 30 octobre 2005 Lecture : 4 minutes.

« J’ai le sentiment que les membres de ce mouvement et moi-même livrons le même combat contre le système patriarcal et le fondamentalisme religieux », confie Taslima Nasreen en marge de l’université d’été du mouvement Ni putes ni soumises qui se tenait à Dourdan, au sud de Paris, du 30 septembre au 2 octobre 2005. Cette association aussi médiatisée que controversée ne pouvait rêver marraine plus subversive.
Les écrits critiques de Taslima Nasreen vis-à-vis du Coran lui ont valu en 1994 une fatwa qui l’oblige depuis une dizaine d’années à errer d’un continent à l’autre. Sans domicile fixe, elle est tantôt en France, tantôt en Suède ou en Allemagne, voire aux États-Unis ou en Inde. « Je ne pense pas avoir un pays. Le lieu où je suis née et où j’ai été élevée, le Bangladesh, n’est pas non plus mon pays. Car un pays ne saurait se réduire à la terre, aux arbres et aux édifices. Un pays signifie l’amour. Et là où je trouve l’amour, je me sens chez moi, et cet endroit peut se trouver n’importe où et pas forcément là où j’ai grandi », confie-t-elle de sa voix lasse.

Parlons-en justement de ce pays où elle a grandi. Même si elle vit loin du Bangladesh, Taslima Nasreen n’en suit pas moins l’évolution. « La situation des femmes n’a fait qu’empirer avec le fondamentalisme musulman qui se répand. Ceux qui ont demandé ma pendaison en 1994 se recrutaient par centaines à l’époque, aujourd’hui ils se dénombrent par milliers et sont beaucoup plus puissants puisqu’ils siègent au Parlement. Si les extrémistes gagnent du terrain, c’est grâce au soutien qu’ils trouvent auprès du gouvernement. Lui-même a besoin d’eux pour obtenir des voix et lutter contre les partis de l’opposition. Tout ce qui importe aux dirigeants c’est de gagner des votes, l’amélioration des conditions de vie des citoyens ne les intéresse pas », explique-t-elle, peu optimiste quant à l’avenir de son pays natal. Taslima Nasreen ne s’est jamais résignée. Elle n’est encore qu’une fillette lorsqu’elle demande pourquoi ses frères ont le droit de jouer au football, de rentrer tard et de se rendre chez des amis, et non pas elle. « Tu es une fille et c’est ainsi » est la seule réponse qu’elle obtenait. « Aussi loin qu’il m’en souvienne, j’ai vu les femmes de mon entourage subir l’oppression des hommes, et personne ne protestait », poursuit-elle.

la suite après cette publicité

« Ma propre mère était traitée comme une esclave par mon père, qui était pourtant un homme instruit, mais il l’opprimait et personne ne trouvait rien à redire, confie-t-elle. Mon père ne croyait peut-être pas dans l’égalité entre hommes et femmes, mais, paradoxalement, il accordait énormément d’importance aux études de ses filles. Il voulait que nous soyons indépendantes économiquement et je le respecte pour ça, même s’il m’a obligé à me marier à 15 ans. »
Élève brillante, Taslima publie ses premiers poèmes à l’âge de 12 ans. Conformément aux voeux de son père, elle s’inscrit à la faculté de médecine et devient gynécologue. Tout en travaillant au Dhaka Medical College Hospital, elle bâtit petit à petit son oeuvre et remporte plusieurs prix littéraires locaux. Elle compose des vers et autres poésies érotiques où l’amour se conjugue au féminin : « J’ai tourné mon coeur vers les femmes, Tourné mon corps vers les femmes… Parce que je sais maintenant que seules les femmes peuvent sauver les femmes. » Elle signe également des romans mais aussi des éditoriaux engagés qui déplaisent particulièrement aux fondamentalistes tout comme aux autorités. Une loi interdisant aux fonctionnaires de publier la moindre ligne sans le consentement du gouvernement l’oblige à démissionner. « De nombreuses personnes m’ont dit : il y a beaucoup de médecins comme vous mais peu d’écrivains comme vous. De toute façon, vous continuerez à rédiger des ordonnances, car vos livres sont des ordonnances destinées à une société malade », se souvient-elle. En 1993, elle décide de renoncer à sa carrière médicale pour se consacrer à l’écriture. La même année, elle publie Lajja (« La Honte », en bengali), dont la diffusion est interdite. Au cours de la même période, des manifestants et des grévistes réclament sa pendaison. Taslima Nasreen est condamnée à partir ou à mourir. Elle s’en va… et partir, c’est mourir un peu.

D’aucuns voient alors en elle un Salman Rushdie au féminin, mais elle ne jouit pas (encore) de la même reconnaissance que son homologue anglo-indien dans les milieux littéraires. Aujourd’hui, tout juste âgée de 40 ans et des poussières, elle s’attelle déjà à l’écriture de son autobiographie. Deux tomes, Enfance au féminin et Vent en rafales, sont déjà disponibles en français, et Rumeurs de haine vient de paraître aux éditions Philippe Rey. Sa vie est-elle déjà finie ? Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : elle ne regrette rien.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires