Pas de parti islamiste

Même si la « menace intégriste » a été gonflée par le régime précédent, les nouveaux dirigeants refusent de reconnaître le Parti de la convergence démocratique, formation dominée par les « barbus ».

Publié le 30 octobre 2005 Lecture : 5 minutes.

Il aura fallu un triple niet pour convaincre les mandataires du Parti de la convergence démocratique (PCD, à composante islamiste), que les nouveaux dirigeants mauritaniens ne veulent pas reconnaître leur formation. Fin septembre, dans une interview exclusive à J.A.I. (voir le n° 2334), le nouveau chef de l’État, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, fait savoir qu’un parti religieux ne peut avoir droit de cité dans son pays. Réaction immédiate du Dr Cheikh Ould Horma et de Jemil Ould Mansour, principaux dirigeants du PCD : « Cela ne nous concerne pas. Notre parti n’est pas islamiste. » Le 8 octobre, au cours de sa première rencontre avec la presse nationale, le président du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) confirme et précise sa position : « Pour ce qui est du PCD… nous ne pouvons pas l’accepter », martèle le nouvel homme fort de Nouakchott.
La messe est dite. Mais, pugnaces, les premiers concernés ne se rendent pas pour autant à l’évidence. Le surlendemain, ils tiennent un point de presse à l’hôtel Al-Houda, en plein coeur de la capitale, et y soutiennent que la parole présidentielle n’est ni acceptable ni définitive sur le sujet. « C’est un point de vue que nous récusons. Et puis, jusqu’à présent, rien ne nous a été officiellement notifié », déclarent-ils.
Le 17 octobre, Mohamed Ahmed Ould Mohamed Lemine, le ministre de l’Intérieur dont le département instruisait le dossier depuis deux mois, comble cette lacune. Il adresse aux mandataires du PCD un courrier officiel libellé en termes aussi catégoriques que limpides. Le document indique que l’État refuse d’accorder l’agrément au PCD. Sur quelle base légale ? « Il ressort des investigations […] que l’orientation de ce parti est le monopole de l’islam. » Or l’article 4 de la loi sur les partis promulguée en 1991, à la veille de la restauration du multipartisme, stipule expressément que « l’islam ne peut être l’apanage exclusif d’un parti politique ».
Lancé en 2004 par des personnalités ayant soutenu la candidature de l’ancien chef de l’État Mohamed Khouna Ould Haïdallah à la présidentielle de 2003, le PCD est une formation composite. Son président, le Dr Cheikh Ould Horma, est une notabilité maure. Sa direction compte aussi des Négro-Mauritaniens comme le député Diawara Gagny et l’avocat Diabira Maroufa. Mais les islamistes y occupent des postes clés, avec, entre autres, Jemil Ould Mansour à la vice-présidence et Mokhtar Ould Mohamed Moussa à la présidence du conseil national. Ils forment également une bonne partie de ses bataillons.
Sur la gestion du phénomène islamiste, la révolution de palais du 3 août n’a donc pas opéré de changement radical. Certes, l’une des premières mesures du CMJD a été de libérer Ould Mansour, Ould Mohamed Moussa et le prédicateur Cheikh Mohamed el-Hacen Ould Dedew, considéré désormais comme le chef spirituel des barbus mauritaniens. Les trois hommes avaient été embastillés le 25 avril 2005 par l’ancien président Maaouiya Ould Taya. « Ce sont des personnalités modérées qui ont été injustement incarcérées », a alors affirmé le colonel Mohemed Abdelaziz, membre éminent du Conseil militaire.
Mais les nouvelles autorités restent intransigeantes sur le cas des vingt et un « salafistes djihadistes » arrêtés à la même date. Accusés par la police d’être allés s’entraîner auprès du GSPC algérien – auquel on impute, à Nouakchott, la paternité d’une sanglante attaque contre une garnison mauritanienne le 3 juin dernier – avant de revenir en Mauritanie dans le dessein d’y perpétrer des actes terroristes, les membres de ce groupe devraient être incessamment jugés à Nouakchott.
« Leur dossier est clair, il n’y a pas d’intrigues ou de manipulations à ce sujet », soutient Ely Ould Mohamed Vall, manifestement soucieux de ne pas être soupçonné de vouloir emboîter le pas, en la matière, à son prédécesseur. Ould Taya avait en effet mené, tout au long des dix dernières années, une campagne de répression systématique contre les islamistes. Seuls les « barbus » ayant rallié le Parti républicain démocratique et social (PRDS, ex-formation au pouvoir), comme Mohamed el-Mokhtar Gaguih, Abdou Maham ou encore Aboubecrine Ould Ahmed, ont pu y échapper. L’ancien président faisait croire aux Occidentaux que son régime « moderniste » était en butte à une dangereuse « menace intégriste ».
La réalité était tout autre. La nébuleuse islamiste mauritanienne est dominée, d’une part, par des prédicateurs apolitiques tels que Mohamed Ould Sidi Yahya, qui coule désormais une retraite paisible dans la région de l’Assaba (Sud-Est), et Mohamed el-Hacen Ould Dedew, et, d’autre part, par les adeptes d’un réformisme fortement inspiré par le mouvement des Frères musulmans égyptiens et ses variantes tunisienne et marocaine.
Entre l’actuelle figure de proue des islamistes mauritaniens, Jemil Ould Mansour, la quarantaine, et les dirigeants du Parti de la justice et du développement (PJD) au Maroc, les liens sont en effet étroits. L’influence intellectuelle qu’exerce sur lui le Tunisien Rached Ghannouchi est tout aussi indéniable.
Outre leur présence visible dans les principaux centres urbains du pays, les « réformistes musulmans » mauritaniens, comme ils aiment s’appeler, inondent le Web de publications. Sur les quatre principaux sites Internet mauritaniens en arabe, ils en contrôlent trois. Ce qui donne un écho considérable à leurs discours, notamment auprès de la jeunesse instruite. En janvier 2005, ils ont largement remporté les élections de l’Union générale des étudiants mauritaniens (Unem), boycottées, il est vrai, par les étudiants proches des partis de la défunte « majorité présidentielle ».
Le refus de la reconnaissance de leur formation va-t-il les pousser à engager un bras de fer avec le nouveau pouvoir ? Difficile de l’imaginer. D’abord, les islamistes mauritaniens demeurent minoritaires dans une société où les clivages majeurs restent avant tout d’ordre ethnique, tribal, régional et confrérique. Ensuite, l’expérience des Frères musulmans en Égypte et en Syrie et celle, plus proche, du Front islamique du salut (FIS) en Algérie montrent qu’un tel choix risque d’être désastreux pour un courant qui a toujours affiché son légalisme et son adhésion aux principes démocratiques.
Mais la frustration née de cette mise en marge de la légalité ne risque-t-elle pas de faire le jeu de ceux qui prônent la violence ? Le pays n’a jamais connu, à l’intérieur de ses frontières, une telle dérive, et les djihadistes mauritaniens à l’étranger ne sont pas légion.
La Mauritanian Connection d’al-Qaïda se limite à deux personnes : Abou Hafs al-Mouritani et Abdallahi Ould Mohamed Sidi, établis en Arabie saoudite et soupçonnés d’être des lieutenants de Ben Laden. Ils sont recherchés par les services américains et leurs homologues du royaume wahhabite. Mis dans le même sac et incarcéré à Guantánamo depuis 2002, l’ingénieur Mohamedou Ould Sellahi a été finalement « blanchi ». À en croire les officiels mauritaniens, son retour au bercail serait « imminent ».

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires