Négligence ou fatalité ?

Bombe, foudre, erreur humaine: les causes du crash du Boeing de Bellview Airlines alimentent la polémique sur la sécurité aérienne sur le continent.

Publié le 30 octobre 2005 Lecture : 4 minutes.

Son obstination lui aura coûté la vie. Le 22 octobre, Bridget Braimah, directrice du service de soutien éducatif au ministère nigérian de l’Éducation, venait de participer, à Paris, à la Conférence générale de l’Unesco. Tôt le matin de ce samedi, elle devait prendre le vol Air France Paris-Lagos et, en soirée, une correspondance pour Abuja. Le chauffeur de la délégation nigériane ne s’étant pas réveillé, elle a remué ciel et terre pour qu’on lui trouve d’urgence un autre accompagnateur. Elle attrapera finalement son avion et se posera dans la métropole nigériane. Mais n’arrivera jamais à destination… À 19 h 50 heure locale, madame Braimah est dans le Boeing 737 de Bellview Airlines qui décolle de l’aéroport de Lagos, avec à son bord 117 passagers, dont des personnalités de haut rang comme le général malien Cheick Oumar Diarra (voir encadré), secrétaire exécutif adjoint de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), deux de ses collègues, des fonctionnaires nigérians et de grands patrons. Cinquante minutes plus tard, l’avion devait se poser à Abuja. Mais peu de temps après le départ, le pilote effectue un virage au sud du port, puis s’aperçoit que ses instruments lui indiquent un problème technique. Alors qu’il est pris dans un gros orage, il lance un message de détresse. En vain. Trois minutes passent, puis l’aéronef disparaît des écrans radars. La tour de contrôle perd le contact radio et émet un avis de disparition. Des recherches sont lancées. Elles n’aboutiront que le lendemain soir, dimanche 23 octobre, plus de vingt heures après la catastrophe.
Ce sont les journalistes d’Africa Independent Television (ATT) qui découvriront les premiers le site du crash, près du village de Lissa, à une cinquantaine de kilomètres de Lagos. Immédiatement, ils démentent la rumeur selon laquelle plus de la moitié des passagers du Boeing seraient en vie. Les images de l’appareil et des corps déchiquetés ne laissent aucune place au doute : personne n’a survécu.
Une semaine après le drame, un grand flou entoure toujours les causes de l’accident. Le directeur de l’Autorité nationale de l’aviation civile (NCAA), Fidelis Onyeyiri, a d’abord avancé une erreur de cap. Selon d’autres sources, l’avion aurait été foudroyé, ce qui aurait entraîné une panne de ses systèmes de communication. Un incendie en cabine ou dans la soute à bagages, ainsi qu’un problème de carlingue sont également évoqués. Les habitants du village de Lissa parlent d’une forte explosion. Version confirmée depuis : l’appareil se serait désintégré avant de toucher le sol. La foudre ? Une bombe ? La présence à bord du major Joseph J. Haydon, chef de l’office américain de coopération militaire à l’ambassade d’Abuja, rend plausible la thèse d’un attentat… George W. Bush prend, en tout cas, l’affaire très au sérieux et a adressé au président Obasanjo un courrier l’invitant à mener les investigations les plus complètes. L’analyse des boîtes noires, d’ores et déjà envoyées aux États-Unis, devrait permettre d’en savoir plus.
En attendant, les responsables de Bellview rejettent toute responsabilité et soulignent l’excellent état de service de leurs appareils. La compagnie ne compte aucun incident majeur depuis sa création, il y a dix ans. Par ailleurs, l’avion qui s’est écrasé, en service depuis vingt-quatre ans, avait subi un contrôle dix jours auparavant et une révision complète au centre de contrôle technique de la Royal Air Maroc, trois mois plus tôt. Enfin, Bellview est l’une des seules compagnies recommandées par les chancelleries occidentales. Air France a même passé un accord pour que ses passagers effectuent leurs liaisons intérieures sur ces vols. Reste que la société opère sur le mode low-cost… autrement dit, elle pratique une compression maximale de ses coûts. Selon des sources syndicales, les pilotes effectuent plus de cent heures de vols par mois, alors que ceux des grandes compagnies travaillent en moyenne soixante-quinze heures. Le commandant de bord était-il surmené ? Une nouvelle fois, le problème de la sécurité aérienne se pose au Nigeria, trois ans après l’accident qui a fait 149 morts – dont les 115 passagers et de nombreux habitants de la ville – à Kano, au nord du pays. Il faut dire que le trafic aérien y est intense : une quinzaine de compagnies assurent les liaisons intérieures du Nigeria et opèrent plusieurs rotations par jour. 3,5 millions de passagers passent par l’aéroport de Lagos chaque année. Seuls l’Afrique du Sud et le Kenya enregistrent des flux plus élevés.
« Nous avons des lacunes au niveau des infrastructures et des services de navigation. Elles sont bien connues dans les milieux du transport aérien. Mais les autorités n’ont pas encore pris de mesures adéquates pour améliorer la sécurité », avoue le responsable d’une compagnie locale. Signes avant-coureurs, plusieurs incidents techniques ont été signalés en juin et en juillet. Trois avions ont été endommagés à la suite d’atterrissages d’urgence à Lagos, où la saison des pluies s’accompagne d’orages et de vents violents. Enfin, bien que l’aéroport de la ville soit équipé de radars flambant neufs, les défaillances humaines et la négligence restent trop importantes. En juillet, on a évité le pire. Un appareil d’Air France a percuté une vache sur la piste de Port-Harcourt. Si la virtuosité du pilote a permis d’éviter la catastrophe, les passagers et l’équipage ne sont pas prêts d’oublier leur mésaventure.

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