L’impossible leadership européen de Tony Blair

Publié le 30 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

Si les Britanniques (et les Américains) ont été et restent convaincus que la guerre en Irak était entièrement justifiée, et même nécessaire, alors ils doivent être prêts à supporter les sacrifices qui découlent de leur engagement militaire. Quand le Premier ministre Tony Blair affirme qu’il ne ménagera aucun effort pour vaincre le terrorisme tout en évoquant, de manière passablement exaspérante, la nécessité de « passer à autre chose » et de « tirer un trait » sur la guerre, il élude la question essentielle : l’invasion de l’Irak était-elle la réponse la plus judicieuse – ou simplement la plus raisonnable – à la révolte islamiste et à la menace terroriste ?
Blair est un virtuose du contre-pied – demandez à Chirac ! -, mais il en fait trop. Il se contredit si souvent et si complètement qu’il devient difficile de le suivre dans ses tergiversations. Quelques jours après le spectaculaire « non » français au référendum sur la Constitution européenne, il a par exemple annoncé à la Chambre des communes qu’il renonçait à organiser une consultation du même type au Royaume-Uni. Moins d’un mois auparavant, il avait pourtant confié au Sun, le très europhobe tabloïd de Rupert Murdoch, que « même si les Français votent non, le gouvernement s’engage à tenir un référendum ».
De même, à propos de l’Irak, il ne cesse de dire une chose et son contraire. En octobre 2004, il affirmait aux Communes que, si ses opposants avaient été à sa place, « Saddam Hussein et ses fils seraient toujours libres de leurs mouvements », ce qui, à ses yeux, suffit à justifier la décision qu’il a prise d’intervenir militairement. Mais il est resté sans voix quand un député travailliste lui a rappelé l’une de ses précédentes prises de position. En février 2003, le Premier ministre avait en effet déclaré : « Nous avons offert à Saddam Hussein la possibilité de désarmer volontairement, par l’intermédiaire des Nations unies. Je déteste son régime, mais, aujourd’hui encore, il a la possibilité de se sauver en répondant favorablement aux demandes onusiennes. »
Au-delà de ces confusions et de ces contradictions, ces deux questions de l’Europe et de l’Irak apparaissent inextricablement liées – politiquement et, à la lettre, géographiquement – dans l’une des controverses qui ont marqué ces derniers mois. Rompant avec son habituelle flexibilité (pour ne pas dire son amnésie volontaire), Blair s’est en effet montré absolument inébranlable sur la question de l’admission à marche forcée de la Turquie dans l’Union européenne.
Il serait tentant de lui rétorquer (comme certains responsables politiques allemands n’ont pas manqué de le faire) qu’il ne peut adopter cette position que parce qu’il n’est pas exposé à en subir les conséquences, ayant renoncé à organiser un référendum sur la Constitution. En toute occurrence, il apparaît de plus en plus clairement que de très nombreux Européens de toutes origines et de toutes obédiences politiques jugent désormais impossible d’admettre la Turquie au sein de l’Union, au moins dans un avenir prévisible. Et que la seule attitude honorable consisterait à le dire sans détour. Il est possible que Blair en soit conscient, mais il ne peut en aucun cas l’admettre : ce serait aller à l’encontre de la conception américaine du monde à laquelle il a lié son destin. On sait que les États-Unis sont favorables à l’intégration de la Turquie à l’Europe (et que Condoleezza Rice, la secrétaire d’État, n’a pas ménagé ses efforts pour imposer que les négociations d’adhésion s’ouvrent le 3 octobre). Pour plusieurs raisons dont la principale est que tel leur paraît être leur intérêt stratégique.
Au vrai, tout se passe comme si Blair s’employait à conforter une croyance profondément ancrée dans l’esprit des Français. De Gaulle était convaincu que, mise au pied du mur, l’Angleterre choisirait toujours l’Amérique contre l’Europe – après tout, Churchill lui-même le lui avait avoué – et n’hésiterait pas à jouer le rôle du cheval de Troie des États-Unis. Le Prime minister lui donne rétrospectivement raison et, du même coup, perd toute chance de conquérir le leadership européen auquel il aspire.
Mieux vaut parfois avoir de la chance que d’avoir raison. À condition de ne point trop la solliciter et de ne pas faire trop bon marché de la sûreté du jugement et de l’honnêteté intellectuelle.

* Journaliste et politologue britannique. Dernier ouvrage paru : The Strange Death of Tory England.

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