Escapade à Bizerte

Publié le 30 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

Pour moi, Bizerte évoquait avant tout un des épisodes les plus dramatiques de la décolonisation. En 1961, cinq ans après l’indépendance de la Tunisie, des manifestations contre le maintien du contrôle par la France de la base militaire de cette ville avaient été sauvagement réprimées. On déplora quelque trois mille morts. Les Français retirèrent finalement leurs troupes en octobre 1963.
Depuis plus de vingt ans que je vais chaque année en Tunisie, l’idée ne m’était jamais venue d’aller visiter cette cité trop proche de Tunis, moins de 70 kilomètres, pour justifier un déplacement particulier. Il est vrai que la capitale, conurbation de quelque 2 millions d’habitants aujourd’hui, s’est tellement développée vers le nord que Bizerte peut apparaître comme sa grande banlieue. De la gare routière de Bab Saadoun, à la lisière du centre de Tunis, jusqu’à Bizerte, une heure d’autocar suffit pour effectuer le trajet. Comme partout en Tunisie, les routes sont en très bon état. L’autoroute à péage qui couvre une bonne partie de la distance ressemble à s’y méprendre à celles qu’on emprunte en Europe. Elle traverse une riche plaine agricole livrée aux céréales et aux arbres fruitiers.
À l’approche de Bizerte, un panneau indique la direction d’Utique. Je n’aurai pas le loisir de faire le détour. Dommage, car j’aurais aimé fouler le sol de ce qui est probablement la première ville du Maghreb. Ce comptoir phénicien a été créé vers 1100 avant Jésus-Christ, trois siècles avant Carthage. Avec le temps, l’oued Medjerda, le principal fleuve du nord de la Tunisie, a comblé de ses alluvions le golfe d’Utique, si bien qu’aujourd’hui la cité, qui s’enorgueillit de sa nécropole punique et de nombreux vestiges romains, se trouve au beau milieu des terres, à une dizaine de kilomètres de la Méditerranée.
Bizerte, elle, est bien au bord de l’eau. Sa position stratégique sur le canal de Sicile lui a valu une histoire mouvementée depuis l’époque carthaginoise et romaine, où elle était connue sous le nom d’Hippo Diarrythus avant d’être rebaptisée Benzart par les Arabes. Sa vie reste marquée par les activités maritimes. Avant de franchir un pont à bascule qui conduit au port de commerce puis au centre-ville, on longe une raffinerie dont les effluves se font sentir à des centaines de mètres alentour. Le front de mer, avec sa croisette et ses palmiers, ne manque pas d’allure, mais, en ce mois d’octobre, sous la pluie qui plus est, il est désert. De toute façon, Bizerte n’est pas Hammamet et ne constitue pas une destination pour le tourisme de masse. On y vient surtout, paraît-il, pour les sports nautiques et la plongée sous-marine.
À l’image de son vieux port de pêche, cette ville d’environ 100 000 habitants offre au visiteur l’image d’une cité paisible et repliée sur elle-même. Seule incongruité dans ce lieu où le temps semble s’être arrêté il y a plusieurs décennies, un gigantesque restaurant flottant, Le Phénicien, construit sous forme de navire antique. L’Office national de l’artisanat expose toute une gamme de créations assez typiques de ce que l’on fait aujourd’hui dans le pays : poteries modernes, vases en verre soufflé, meubles en fer forgé… Je demande une brochure. Cela n’existe pas. Pour avoir une vue panoramique sur la ville, j’ai escaladé, toujours sous la pluie, les remparts du fort d’Espagne. Le guide des éditions Jaguar que j’ai pris avec moi me dit qu’il a été construit en 1573 par les Turcs. Transformé en théâtre de plein air, il abrite, en été, le festival de musique et de danse de Bizerte. J’ai pris plaisir à visiter la médina et à me perdre dans le dédale des ruelles et des venelles. Réservé à l’habitat, l’intérieur de la kasbah, forteresse édifiée au XVIIe siècle, jouit d’une tranquillité rare. Les autres quartiers traditionnels bruissent de mille activités marchandes et artisanales. De façon générale, le centre-ville, qui m’a un peu rappelé celui de Nabeul, près d’Hammamet, fourmille d’activités commerciales qui, ici, n’ont rien à voir avec le tourisme.
Au total, en comptant les taxis, l’aller-retour en autocar et le joli parapluie acheté aux abords du marché – il n’était pas question d’avaler quoi que ce soit en période de ramadan -, mon escapade d’une journée dans le Nord tunisien n’aura coûté qu’une vingtaine de dinars (environ 13 euros). On ne dira pas que j’ai ruiné ma rédaction…

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