Algérie : un si discret cinquantenaire

Publié le 30 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

Le 1er novembre 1954 débutait en Algérie la guerre de Libération sous la houlette du FLN. Un demi-siècle plus tard, la modestie des commémorations du « cinquantenaire de la Révolution » qui s’achèvent ce 1er novembre contraste avec l’aisance financière du Trésor public algérien. Pas le moindre défilé militaire – « il ne faut pas donner l’impression de narguer notre si susceptible voisin de l’Ouest », dixit un membre du gouvernement d’Ahmed Ouyahia – ni la moindre stèle à la gloire du « seul héros, le peuple ».
La décision de réduire le faste des festivités revient exclusivement au président Abdelaziz Bouteflika. Qu’est-ce qui a bien pu la motiver ? L’éventualité de la signature, « avant le 31 décembre 2005 » disait-on, d’un traité d’amitié avec la France, ancienne puissance coloniale ? Le souci de canaliser les énergies et les deniers publics vers la reconstruction d’un pays meurtri par une décennie de violence ? Ni l’un ni l’autre, semble-t-il. « Boutef » n’a jamais ménagé le partenaire français et, faut-il le rappeler, c’est son discours prononcé devant le Parlement français, en juin 2000, qui a déclenché le débat sur la torture par les paras français. Quant au financement de la reconstruction du pays, la fermeté des cours pétroliers a généré une telle manne que toutes
les grandiloquences sont permises.
Non, l’explication est sans doute ailleurs. Un demi-siècle, cela transforme un pays, surtout quand il est ponctuée par une succession d’épreuves : confusion au lendemain de
l’indépendance et début de guerre civile durant l’été 1962, menace sécessionniste en Kabylie, tentative d’invasion par le fameux voisin de l’Ouest lors de la guerre des Sables d’octobre 1963, putsch militaire présenté comme un redressement révolutionnaire en juin 1965, élimination et assassinat d’opposants, révolution agraire catastrophique, révolution industrielle antiéconomique et révolution culturelle aux allures de raccourci vers l’acculturation. Et, pour couronner le tout, une sédition islamiste qui a durablement atteint le tissu social, vidé les villages, grossi démesurément les banlieues miséreuses des grandes agglomérations.
Ce parcours chaotique a contribué à changer l’Algérie et les Algériens. Leur fierté, que beaucoup percevaient comme de l’arrogance, en a pris un coup, mais l’avantage est que la première et les seconds ne cherchent plus à être flamboyants, à se convaincre qu’ils sont les meilleurs, qu’ils ont la plus grande usine d’Afrique, la plus belle salle de cinéma du monde… Au plus fort de leur malheur, le monde leur a tourné le dos. Pis : on a douté de la réalité de leur douleur, émis des soupçons sur l’identité de ceux qui massacrent, et entretenu l’amalgame autour de leur tragédie.
Recevoir des coups endurcit. Alors, nécessairement, l’Algérie a changé. La preuve ? Le 1er novembre 2005, 51e anniversaire de la Révolution et fin des commémorations du cinquantenaire, l’Armée nationale populaire (ANP), héritière de l’Armée de libération nationale, qui a formé Nelson Mandela, Amilcar Cabral ou encore Agostino Neto, participe à des manoeuvres militaires organisées en Méditerranée par l’Otan. La particularité de cet exercice ne tient pas uniquement à sa concomitance avec l’anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération. Pour la première fois, soldats et officiers algériens côtoient des militaires israéliens. L’ANP et Tsahal dans le même bateau. Qui l’eût cru ? Bien sûr, il se trouvera toujours des hommes politiques algériens pour dénoncer cette « compromission sans nom », ce « lâchage en règle des frères palestiniens ». Mais l’opinion ne semble plus disposée à prêter attention à ces formules toutes faites.
En revanche, si la succession d’épreuves a ramené les Algériens à plus de discrétion, elle n’a en rien entamé leurs ambitions. Reconstruire et moderniser le pays, oui, mais pas seulement. Après avoir lancé leur premier satellite (Alsat1), ils s’apprêtent à réaliser le second et à introduire le système GPS sur tout le réseau routier. Après la technologie spatiale, ils ne cachent plus leur volonté de maîtriser celle du nucléaire, civil s’entend. L’Algérie, déjà signataire du Traité de non-prolifération, envisage de ratifier le protocole additionnel qui prévoit les inspections inopinées de l’Agence internationale de l’énergie atomique.
En fait, dire que l’Algérie n’a pas fêté dignement son cinquantenaire ne serait pas tout à fait exact. Elle l’a fêté de manière différente.

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