Éloge de la polygamie

Publié le 30 septembre 2007 Lecture : 2 minutes.

Il y a très longtemps, au siècle dernier, je débarquais à Paris pour m’inscrire à la fac. Il me fallait un petit boulot, ce pourquoi je fréquentais assidûment le CIDJ (Centre information et documentation jeunesse) où je m’abîmais les yeux à lire les annonces, jusqu’au jour où je crus tomber sur la perle : ce n’était pas du baby-sitting ni de la vente aux galeries Machin, c’était une offre séduisante : aider à écrire – oui, déjà ! – une étude.
J’ai foncé. Le monsieur – Français de pure souche, la précision s’impose – a regardé l’Orientale que je suis – je l’étais encore davantage en raison de l’incroyable quantité de khôl dont je m’enduisais les yeux – et a dit : « Je veux que vous m’aidiez à écrire un essai sur la polygamie. » Et de m’en expliquer la raison : « La multiplication des épouses renforce la virilité des hommes, canalise leur énergie sexuelle pour qu’ils se consacrent entièrement à leur travail, et donc au progrès de l’humanité. »

Je pleurais presque de rage, mais réussis à rester polie : « Monsieur, je viens d’un monde qui connaît cette pratique, que j’abhorre personnellement, et ce n’est pas pour gagner deux sous que je vais faire l’éloge de la polygamie. Je suis en plus tunisienne, au cas où vous l’ignorez, et nous sommes les seuls chez les Arabes à avoir aboli cette escroquerie sentimentale. Faire ce boulot, c’est trahir non seulement mes principes mais mon pays. » Et j’ai tourné les talons.
Vous vous demandez pourquoi j’exhume ce souvenir ? C’est que j’ai appris cet été qu’il arrive ce qu’il arrive en Tunisie : la polygamie revient à pas feutrés, via quelques gros bonnets qui affichent deux concubines au mépris de la loi, des barbus qui entretiennent des épouses clandestines, des riches qui s’envolent avec leurs maîtresses contracter des unions halal en Égypte ou dans la boutique wahhabite, des gigolos de Bab Souika ou de Tataouine passant devant le « cheikh » au bras de fausses princesses orientales ! Bref, mes compatriotes retombent dans le piège de la polygamie.

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Je croyais mon indignation passée et voilà qu’une dépêche me plonge dans la consternation. Je viens de lire que Canal + nous propose pour cette rentrée un feuilleton hilarant sur un polygame américain, – oui, oui, américain, fût-il mormon – qui se tue à entretenir trois légitimes. Du « Sayyid mitwalli » yankee – rappelez-vous cette fameuse série égyptienne sur un polygame au bord de la crise de nerf, qui avait ému la rue arabe davantage que le drame irakien – dont la version outre-Atlantique s’appelle Big Love !
C’est là où j’ai eu la certitude que les hommes ne s’entendent que sur le dos des femmes. Ils ne sont jamais d’accord pour la paix, ni contre la couche d’ozone, mais proposez-leur de devenir polygames et ils ruent tous dans les plumards.
Il me semble même que les Occidentaux n’aiment chez les Arabo-Musulmans que leurs travers. Eux qui caricaturent le Prophète et contestent ses préceptes se laisseraient bien pousser la barbe pour une concubine en rab. Maintenant que j’y pense, je crois qu’il leur est né un prophète, aux Occidentaux. Celui que j’avais rencontré quand j’étais étudiante. Dont je n’ai pas su saisir la pensée avant-gardiste. J’aurais cosigné le premier « Traité du polygame occidental » et, d’une certaine façon, travaillé à l’union entre l’Orient et l’Occident, voire amorti le choc des civilisations. Il a eu une sacrée chance, ce Samuel Huntington !

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