Des régions dans tous leurs états

Le découpage administratif du pays a donné naissance à cinq zones aux caractéristiques géographiques parfois très marquées. Pourtant, de Tabarka à Tataouine et du littoral au Chott el-Jerid, la Tunisie présente une forte homogénéité.

Publié le 30 septembre 2007 Lecture : 10 minutes.

Les écoliers tunisiens ne s’en plaindront pas. Le découpage administratif de la Tunisie est plutôt facile à retenir : les cinq grandes régions économiques portent le nom de leur situation géographique. Le Nord-Est, qui regroupe sept gouvernorats (Ariana, Ben Arous, Bizerte, Manouba, Nabeul, Tunis et Zaghouan), le Nord-Ouest (Béja, El-Kef, Jendouba et Siliana), le Centre-Est (Mahdia, Monastir, Sfax et Sousse), le Centre-Ouest (Kairouan, Kasserine, Sidi Bouzid) et le Sud (Gabès, Gasfa, Kebili, Medenine, Tataouine et Tozeur). Si toutes portent le nom d’un point cardinal, les régions tunisiennes demeurent différentes. Elles n’ont pas la même superficie, la même densité de population ni le même poids économique. État des lieux des régions tunisiennes.

Nord-Est L’attraction de Tunis

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La région la plus petite en termes de superficie (7,6 % du territoire national) reste, avec 314 habitants au km2, la plus peuplée, mais surtout la plus développée. Le Grand Tunis abrite 62 % des habitants de la région et 23 % de la population nationale, estimée à 10,13 millions d’individus en 2006. Un provincial sur deux qui quitte sa ville natale choisit de s’installer dans la capitale, ou sa banlieue, malgré la cherté de la vie et un taux de chômage qui s’élève à 13,4 % de la population active.
Avec une croissance démographique plus importante que la moyenne nationale (1,8 %, contre 1,2 %), le Nord-Est est confronté à de nombreux problèmes d’urbanisation galopante : constructions anarchiques dans les quartiers périphériques populaires, embouteillages, pollution, insécurité, etc. L’État est donc contraint de construire dans la région de nouvelles routes, de nouveaux échangeurs, des lignes supplémentaires de transport en commun (train, métro), des réseaux d’assainissement, des réseaux de distribution de l’eau et de l’électricité, des écoles, des centres de soins, des infrastructures sportives et de loisirs Si les indicateurs permettent de mesurer le coût de tels investissements, impossible encore de savoir combien cela rapporte en termes de redistribution et de création de richesse, d’exportation et de contribution à la croissance économique.
Les investissements sont connus et bien listés : 11,6 milliards de DT (7 milliards d’euros) en cinq ans (2002 à 2006), soit 42 % du total régional. Un chiffre cohérent avec les autres indicateurs : environ 1,25 million de travailleurs (40,6 % de la population active) vivent dans le Nord-Est, 50 % des entreprises industrielles y sont installées. La région rassemble 33 % de la capacité hôtelière du pays (76 000 lits, 280 hôtels), près de la moitié des étudiants du pays (170 000), 68 % des postes de formation professionnelle (21 000), 84 % de la capacité du trafic aérien (3,6 millions de passagers par an) et 74 % de celle des ports de marchandises (10 millions de tonnes par an)
Avec une telle puissance économique et sociale, le pôle Nord-Est domine largement le reste du pays : l’essentiel du trafic par son réseau routier (2 300 km, dont 200 km d’autoroutes à péage) ; par son réseau bancaire et financier (635 établissements et agences) ; ses technopôles (El Ghazala pour les nouvelles technologies et Bordj-Cédria pour les énergies renouvelables, Sidi-Thabet pour l’industrie pharmaceutique, Gammarth pour le cinéma et Bizerte pour l’industrie alimentaire) ; sa dizaine de centres d’appels internationaux, ses huit pépinières d’entreprises
Et les projets continuent : les investissements devraient augmenter de 43 % ces cinq prochaines années, pour atteindre 16,6 milliards de DT. Aucune autre région ne peut se targuer d’une telle progression. Il faut dire que les travaux d’infrastructures sont nombreux et coûteux : modernisation et extension des voies de communication, des ponts et chaussées, construction de douze établissements d’enseignement supérieur, de quinze complexes sportifs et de vingt-quatre bureaux de poste, aménagement de 270 hectares de zones industrielles (dont la superficie totale devrait atteindre 3 100 hectares en 2011), extension du réseau d’assainissement, construction de 11 000 hectares de périmètres irrigués

Centre-Ouest Le parent pauvre

Avec 14,3 % de la superficie et 13,5 % de la population nationale, le Centre-Ouest n’a bénéficié que de 11 % des investissements publics régionaux et attiré seulement 7 % des investissements privés au cours des cinq dernières années. Longtemps négligée, cette région de l’intérieur commence toutefois à combler son retard. Le directeur général de l’Office du développement du Centre-Ouest (Odco), Mohamed Akrimi, a en tout cas plusieurs raisons d’y croire. Le taux de chômage est passé de 19 % en 1994 à 16 % cette année, le taux de croissance démographique demeure positif (0,45 % par an) et les exonérations fiscales ainsi que les incitations financières accordées par l’État aux zones prioritaires sont très attractives. Le groupe de textile italien Benetton a décidé, en 2006, d’installer sa nouvelle plate-forme industrielle à Kasserine. Basé à Sahline, dans le Centre-Est, depuis 1994, Benetton souhaite créer d’ici à 2009 une série d’unités de confection employant près de 7 000 ouvriers.
Avec 1,9 million d’hectares de terres agricoles, le Centre-Ouest produit un cinquième des cultures maraîchères et fruitières du pays. Reste cependant à doter la région de voies de communication qui pourraient relier les sites de production aux usines de transformation.
L’Institut supérieur des arts et métiers de Kasserine, l’université de Kairouan, les deux Instituts supérieurs des études technologiques (Iset) de Kairouan accueillent à eux quatre près de 10 000 étudiants. Mais pas seulement. Des investisseurs italiens ont déjà fait part de leur intention de lancer un projet de 26 millions de DT dans les cultures médicinales et aromatiques. Les Espagnols, eux, voient plus grand. En 2005, ils ont racheté, à Feriana, la Sotacib, qui produit 200 000 tonnes de ciment blanc par an. La nouvelle ligne de production acquise en mai dernier pour 51 millions de DT permettra au groupe espagnol de passer à 1 000 tonnes par jour en attendant l’ouverture annoncée d’une nouvelle cimenterie dans la petite localité d’Aïn Jloula (Kairouan). À ces projets industriels viendront s’ajouter l’ouverture et l’aménagement de sites touristiques autour du Djebel Chambi, le point culminant de la Tunisie (1 544 mètres), ainsi que la valorisation du site archéologique de Hydra, à Siliana, près de la frontière algérienne. En ce qui concerne les investissements publics, l’ouverture de trois nouveaux instituts supérieurs, l’extension des périmètres irrigués à 3 000 hectares et la modernisation des infrastructures sont prévues.

Sud Le grand défi

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La volonté d’intégrer l’immense Sahara tunisien avec ses oasis, son littoral, ses plaines, ses montagnes et son désert date des années 1960, lorsque l’Office de mise en valeur du Sud fut créé. Sans grands résultats. Si ont été construits, ici et là, quelques hôtels ou palaces, un centre hospitalier et des établissements scolaires, la région vit presque essentiellement de ses cultures de dattes et d’arbres fruitiers.
Pendant de nombreuses années, la région fut confrontée à de nombreux problèmes : revenus de l’exploitation des mines de phosphate et des gisements pétroliers à el-Borma insuffisants, industrie chimique polluante et tourisme saharien réservé à une élite. Beaucoup ont choisi le chemin de l’exode (vers le Sahel et le Nord) ou de l’exil (vers l’Europe). En janvier 1980, dans la ville minière de Gasfa, des habitants ont décidé de porter les armes, avec l’aide de la Libye, contre le pouvoir central. La révolte marqua les esprits et donna naissance, en 1983, à l’Office de développement du Sud (ODS). Mais sans grands moyens et probablement sans grande conviction. Les priorités étaient ailleurs et le régime d’Habib Bourguiba en fin de règne. Soucieux de valoriser les ressources de la région, le président Ben Ali, à peine élu, consacra son premier conseil ministériel au développement du tourisme saharien. L’offre hôtelière est aujourd’hui de 61 000 lits (26 % du pays), contre 3 000 en 1987. Grâce à cette activité florissante, l’ensemble de la région connaît un développement inédit. L’urbanisation y a beaucoup prospéré (70,3 % de la population) et le taux d’analphabétisme est passé de 31 % à 20,1 % en dix ans. Le nombre d’étudiants a triplé en cinq ans.
Outre les richesses naturelles (oasis, dunes, balnéaire), qui attirent toujours plus de touristes, la région découvre chaque jour de nouveaux « gisements » : des eaux géothermiques à Gabès, Kébili et Tozeur permettant la culture de pêches et d’abricots, des réserves de bentonite (évaluées à 500 millions de tonnes) pour la fabrication de boue destinée à l’industrie pétrolière et à la thalassothérapie, des gisements de gypse, des carrières de marbre – le célèbre marbre aux 40 couleurs de Tataouine -, etc.
Les projets commencent donc à voir le jour : production de légumes frais avec les eaux géothermiques à Hamma, une cimenterie à El-Akarit et une autre à Kef Eddour, dans le bassin minier de Gafsa. Un constructeur automobile allemand souhaiterait construire une base d’essais pour les voitures 4 x 4 dans l’extrême sud tunisien, à Bordj el-Khadra, à la confluence des frontières avec la Libye et l’Algérie. De la zone de libre-échange de Zarzis à la société d’exportation des meilleurs produits de la région (dattes et primeurs) ; de la pêche au grand large à l’exploitation des eaux minérales ; de l’agrandissement de l’aéroport de Djerba (de 4 à 4,5 millions de passagers par an) aux innombrables projets écotouristiques et balnéaires (complexes de Lella Hadhria à Djerba, de Lella Meriem et de Lella Hlima à Zarzis, lire pp. 72-73), l’économie saharienne n’a pas fini d’étonner.

Centre-Est Le littoral à tout prix

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Dans le Centre-Est, nul besoin d’office de développement, les ports et les plages suffisent à eux seuls à attirer les industriels et les hôteliers. Le taux de chômage y est le plus faible du pays (10,3 %, contre 14,3 % pour l’ensemble du territoire national). Idem pour le taux d’analphabétisme des adultes (17 %, contre 22 %). Avec 9,1 % de la superficie nationale, le Centre-Est abrite 22,8 % de la population, 33 % des effectifs estudiantins, 37 % des entreprises industrielles de plus de 10 salariés et 36 % de l’offre touristique.
La région comprend, en effet, deux grands pôles économiques (Sfax et Sousse), deux pôles à forte croissance (Monastir et Mahdia), deux aéroports, trois ports et une autoroute idéalement placée sur un axe nord-sud de 640 km, qui ira de Bizerte jusqu’à Ras Jedir, à la frontière libyenne, en passant par Tunis, Sousse, Msaken, Sfax et Gabès. À cela s’ajoutent les 26 000 hectares de périmètres irrigués, les 570 000 hectares d’oliveraies, trois technopoles industrielles (technologies de l’information à Sfax, mécanique et électricité à Sousse, textile et habillement à Monastir), quatre instituts d’enseignement supérieur (qui seront treize à la fin de 2011), une trentaine de centres de formation professionnelle, sept pépinières d’entreprises À la fin de 2006, la région comptait 1 043 entreprises étrangères, 246 d’entre elles ont été créées entre 2002 et 2006. De bon augure, d’autant que la région aspire à devenir le poumon économique du pays.
Le 24 juillet, le président a posé la première pierre de l’aéroport d’Enfidha, à mi-chemin entre Tunis et Sousse (lire p. 66-67). Un projet de l’ordre de 600 millions de DT, qui devrait accueillir 4,5 millions de passagers par an (l’aéroport de Tunis en reçoit 3,6 millions). Un centre urbain, un pôle industriel de 200 hectares et un port en eaux profondes viendra compléter le dispositif aéroportuaire d’Enfidha. Le projet suscite toutefois quelques inquiétudes. D’aucuns craignent en effet que le développement du littoral ne se fasse au détriment des villes de l’intérieur et de l’environnement (urbanisation anarchique, pollution, exploitation des ressources naturelles non maîtrisée).

Nord-OUest Le décollage

Avec un taux de chômage de 19 %, le Nord-Ouest, qui partage 262 km de frontière avec l’Algérie, a besoin de tout le dynamisme de l’Office de développement du Nord-Ouest (Odno) pour ne pas rester éternellement en marge du développement tunisien. Le Nord-Ouest, montagneux et agricole, a longtemps souffert du manque de voies de communication. Il a fallu attendre le Xe plan de développement (2002-2006) pour que l’axe autoroutier est-ouest, inauguré le 20 février 2006, relie Oued Zarga à Tunis. Le pouvoir central avait jusqu’à présent reculé devant la dépense : 255 millions de DT ont été nécessaires pour la construction de ce tronçon de 67 km. Le jour de l’inauguration, le chef de l’État Zine el-Abidine Ben Ali a demandé que l’autoroute à péage aille jusqu’à Boussalem. La réalisation de ces 70 kilomètres supplémentaires est prévue dans le XIe plan (2007-2011) pour un investissement de 400 millions de DT. Le directeur général de l’Odno, Amor Selmi, espère que cet axe permettra d’ouvrir davantage la région sur le littoral, le centre du pays et l’Algérie voisine. Mais, surtout, de mettre fin à l’exode qui touche le Nord-Ouest depuis dix ans. Tous les ans, plus de 9 000 habitants quittent la région, où le secteur agricole demeure le pourvoyeur principal d’emplois (34 % de la population active, deux fois plus que la moyenne nationale).
Avec 1,6 million d’hectares de terres agricoles (20 % du pays), le Nord-Ouest est le véritable « grenier » et la « mère nourricière » de la Tunisie. Plus de la moitié des céréales du pays, un tiers de la production laitière, les deux cinquièmes des viandes rouges et un cinquième des légumes proviennent de la région. Le Nord-Ouest fournit également 36 % des capacités de mobilisation des ressources hydrauliques du pays (1,7 milliard de m3).
Depuis la création de l’Odno en 1994, de nouvelles infrastructures ont été mises en place : un pôle universitaire à Jendouba (20 000 étudiants), des centres de formation professionnelle (10 600 élèves), un port de plaisance à Tabarka (100 anneaux), 18 zones industrielles où sont installées 900 entreprises, 2 pépinières à Béja et au Kef Outre l’extension de l’autoroute, le XIe plan prévoit la construction de 6 barrages, de 7 000 hectares de périmètres irrigués, d’une zone industrielle de 50 ha à Medjez el-Bab, et le développement de la pisciculture en eau douce et de l’élevage. Mais le directeur général de l’Odno compte également sur les investisseurs privés intéressés par la région. Une société canadienne envisage d’y produire des conserves de tomates pelées. Une entreprise allemande va investir 67 millions de DT dans l’extension de son usine de fabrication de faisceaux de câbles pour les voitures. À la clé : 4 750 emplois. Des Japonais, des Coréens et des Russes seraient intéressés par un projet similaire En attendant, le Nord-Ouest entend développer des secteurs encore inexploités. Tels la pêche ou le tourisme, qui ont souffert de l’enclavement de la région.

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