Edgar Morin, l’exclu

Publié le 31 juillet 2005 Lecture : 2 minutes.

Signature régulière du Monde depuis une quarantaine d’années, Edgar Morin vient d’être condamné pour diffamation raciale en raison d’un énième article sur le conflit israélo-palestinien publié en 2002 dans nos colonnes.
Prononcé en appel et contredisant un jugement de relaxe en première instance, cet arrêt est, pour Morin, une nouvelle exclusion. Ce n’est pas l’énoncé d’un désaccord, la sanction d’une polémique, la conclusion d’un débat, c’est un ban d’infamie. Au vu de deux paragraphes isolés du contexte d’ensemble de l’article, des magistrats ont décidé qu’Edgar Morin avait intellectuellement commis un acte antisémite. Le voici dans la situation de Joseph K., le héros du Procès de Kafka : incapable de prouver son innocence, tant elle va de soi, face à une accusation absurde. Et l’on se souvient des derniers mots du roman : « C’était comme si la honte allait lui survivre… »

Que l’article incriminé soit discutable, c’est l’évidence – et il le fut, vivement, dans nos colonnes, par Françoise Giroud. On peut légitimement estimer qu’une fois n’est pas coutume, la plume de Morin a laissé transparaître une passion qu’il retient d’ordinaire. Mais c’est justement pour cela même que cette condamnation est irréelle. S’il se l’est autorisée, cette passion, c’est au nom de ce qu’il est et qu’il n’a cessé de revendiquer, de livres en articles : un « juif spinozant », refusant toute idée de peuple élu, ayant forgé dans l’exil et la persécution une sensibilité universaliste rétive à tout communautarisme, à tout renfermement identitaire, à toute fermeture aux autres persécutés, à toute indifférence aux autres malheurs du monde.

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« Je romps avec le peuple élu, mais je demeure dans le peuple maudit », écrit Morin dans Mes démons (1994), où il se définit comme un post-marrane, incarnation moderne de ces convertis qui, sous l’Inquisition, judaïsaient en secret, « un juif non juif, un non-juif juif », ajoute-t-il. Le judaïsme n’est pas un bloc uniforme, et le réduire, selon un esprit de parti – religieux ou nationaliste -, c’est non seulement le mutiler, mais renier son apport universel. Après tout, Spinoza lui-même fut exclu de la synagogue, et sa lumière nous éclaire encore quand ses persécuteurs sont tombés dans l’oubli.

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