Le malheur des uns

Publié le 30 juillet 2006 Lecture : 3 minutes.

Il y a un peu plus d’un an, les troupes syriennes quittaient le Liban sous la pression internationale, départ célébré à Beyrouth par une gigantesque fête aux accents nettement antisyriens. La Syrie savoure ainsi, aujourd’hui, une revanche au goût un peu amer. La crise actuelle rappelle en quelque sorte aux Libanais ce qu’il en coûte de s’affranchir de l’amitié encombrante du « grand frère » syrien, et à la communauté internationale qu’on ne peut prétendre se passer de Damas dans le règlement des grandes questions du Moyen-Orient. On fustige aussi la mémoire courte de nombreux Libanais. Après le départ des Syriens, ils ont cru que la communauté internationale les protégerait en cas d’agression : n’avait-elle pas obtenu le départ des troupes d’occupation de Damas ? L’issue du récent G8 ou de la conférence de Rome leur a montré combien ils se trompaient. Le Liban est retourné à son statut de territoire tampon, « ventre mou » de la région, suivant l’expression chère à l’historien Georges Corm, ballotté au gré des intérêts des grandes puissances et de leurs alliés locaux – dans le cas présent, les États-Unis et Israël.
Ventre mou, et de plus en plus no man’s land, à dire vrai ! Fuyant les bombes israéliennes, les Libanais affluent aujourd’hui massivement vers la Syrie, toutes confessions confondues – nul doute qu’il y a parmi eux des « révolutionnaires » du Printemps de Beyrouth Les hôtels sont pris d’assaut par ceux qui peuvent se les offrir, tandis que le Croissant-Rouge syrien et le « Comité public syrien pour le soutien au peuple libanais » organisent, à grand renfort de publicité, hébergement, distribution de nourriture, de médicaments, de matelas – en Syrie mais également sur le territoire libanais -, invoquant dans une rhétorique inimitable le « devoir panarabe de soutien au peuple frère libanais ». La population imputera bientôt aux nouveaux arrivants les embouteillages, la flambée de l’immobilier et l’inflation comme elle le fait avec les réfugiés irakiens depuis 2003 -, mais, en attendant, on est très fier de montrer que la Syrie est magnanime.
L’ambiance à Damas est sereine. Au centre-ville, le très select Club d’Orient ne désemplit pas, tandis que les touristes du Golfe, qui passent habituellement une partie de l’été à Beyrouth, ont eux aussi débarqué dans la capitale, comblant un peu la désertion des touristes européens.
Les autorités syriennes en profitent pour revenir sur la scène diplomatique. Mise au ban de la communauté internationale pour son « soutien au terrorisme », la Syrie n’avait plus que les Iraniens pour alliés effectifs. Après avoir ignoré ses offres de services en Irak, Washington lui demande aujourd’hui instamment d’user de son « influence » sur le Hezbollah pour faire cesser les attaques sur Israël. L’influence en question est sans doute très exagérée, si l’on considère la puissance et l’autonomie du mouvement libanais, autant militaire que politique. Cette demande de Washington est cependant une façon de reconnaître que la Syrie peut jouer un rôle crucial dans le règlement du conflit, ce qui constitue un progrès.
Si la crise profite au régime syrien sur le plan extérieur, elle le consolide également à l’intérieur. Ainsi, la tiédeur d’une manifestation – fort bien encadrée – des « forces vives » de la nation (universités, ministères, organisations professionnelles) ne saurait dissimuler la réelle ferveur suscitée par la cause libanaise et par le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, allié de toujours de la Syrie. Le président Bachar al-Assad avait tout intérêt à s’associer à cet engouement populaire : aujourd’hui, la majorité des commerces en Syrie et de très nombreuses automobiles arborent des affiches consacrant la trinité Hafez-le-père, Bachar-le-fils, et Hassan Nasrallah le frère libanais – tandis que la chaîne du Hezbollah, Al-Manar, est diffusée dans de très nombreux cafés et restaurants damascènes, où l’on guette la moindre apparition du leader chiite.

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