Églises en campagne
Jamais les différentes chapelles chrétiennes ne se sont autant impliquées dans le jeu politique.
« Les Églises s’en prennent souvent aux effets et non aux causes profondes des dérèglements sociopolitiques. [] Elles dénoncent plus ?qu’elles ne préviennent et arrivent donc presque toujours trop tard. D’où l’inefficacité de leur discours. » L’auteur de ce propos pour le moins sévère, l’abbé Richard Mutagaruka, professeur aux Facultés catholiques de Kinshasa, aura-t-il tort ? Seule certitude : les Congolais ont voté le 30 juillet. Les Églises, et ce n’est pas la première fois dans l’histoire du pays, ont joué un rôle non négligeable dans la transition – et dans son issue. Hier comme aujourd’hui, elles ont été au cur du débat, et leurs dirigeants encensés ou honnis. Chacun, bien sûr, défendant sa chapelle avec, au moins, la conviction de servir la cause nationale. L’abbé Apollinaire Malu Malu, le président de la Commission électorale indépendante (CEI), n’est pas le moins connu de ces hommes de Dieu. Ni le moins controversé. Il a été l’objet de tous les rejets, de toutes les interrogations, de toutes les rancurs, celui sur qui personne n’aurait misé. Au point de devenir une énigme.
Ce prêtre de 45 ans, du haut de son mètre cinquante, a la particularité d’avoir déplu à la hiérarchie catholique, qui s’est très vite démarquée de lui. Ses (nombreux) adversaires l’ont traité d’arrogant, de suffisant, de vendu au camp du chef de l’État sortant Joseph Kabila. Et, surtout, lui ont reproché de se croire au-dessus de la Conférence nationale épiscopale du Congo. Face aux critiques, aux accusations selon lesquelles il cherchait à organiser des élections truquées, le petit abbé aurait répondu invariablement : « C’est n’importe quoi. » Ou encore : « Ce n’est pas moi qui ai le pouvoir. » Sous le parapluie du Comité international d’accompagnement de la transition (Ciat), il a fait front, jusqu’au bout. Les résultats du scrutin diront s’il avait tort.
Contrairement à Malu Malu, Banyingela Kasonga, qui était en lice dans la course à la présidentielle sous les couleurs de l’Alliance des paysans et écologistes, n’a pas fait parler de lui. Tout au plus pourrait-il connaître des démêlés avec sa hiérarchie de l’archevêché de Kananga, dans le Kasaï occidental, pour avoir enfreint la règle du Vatican interdisant à tout prêtre de solliciter un mandat politique.
Dans d’autres camps, notamment celui de Joseph Kabila, gravite un pasteur très influent, véritable homme de l’ombre : Daniel Ngoy Mulunda. Il a vécu longtemps au Kenya, avant de retrouver l’entourage du défunt président Laurent-Désiré Kabila. À la mort du père, le pasteur s’est mis au service du fils, qu’il a convaincu de nommer certains de ses propres amis à des postes clés : Mgr Pierre Marini Bodho, président de l’Église du Christ au Congo, placé à la tête du Sénat. Et, peut-être aussi, Apollinaire Malu Malu. D’où cette sortie du philosophe et théologien congolais Kä Mana : « L’évêque protestant fait partie d’un sérail politique où il se sent manifestement à l’aise, confortablement assis dans l’éminent rôle de conseiller du jeune président qu’il couve de la protection protestante. » Sur le terrain, les responsables de l’Église du Christ au Congo et leurs homologues kimbanguistes n’ont jamais changé de position : ils ont soutenu le calendrier électoral et les institutions de la transition.
Il en a toujours été ainsi, quel que soit le régime en place. Alors que les catholiques ont eu des attitudes différentes, à la veille du scrutin. La Conférence épiscopale prônait un gel du processus électoral, alors que les évêques de l’Est se mobilisaient pour le vote. Dans les deux provinces du Kivu, martyrisées par des rébellions depuis 1965, des prélats se sont retrouvés dans un rôle de résistants face aux troupes de Laurent-Désiré Kabila, à la présence rwandaise et à la rébellion du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). Et l’ont payé cher. Mgr Christophe Munzihirwa Mwene Ngabo, archevêque de Bukavu, a été assassiné en octobre 1996. Son successeur, Mgr Emmanuel Kataliko, interdit de séjour à Bukavu, de février à septembre 2000, y reviendra avant de décéder à Rome, le 4 octobre 2000. Pour ses ouailles, il a été empoisonné. Mais tous les évêques du Kivu n’ont pas défendu la même cause. Les « rwandophones », comme Mgr Faustin Ngabu, évêque de Goma, et Mgr Jérôme Garapangwa Nteziriyayo, évêque d’Uvira, avaient pris le parti du RCD. L’Est a insisté sur la nécessité de tenir les élections dans les délais, sensibilisant sans relâche la population.
Les Églises évangéliques ne s’étaient pas, elles, invitées en tant que telles dans le débat politique, malgré l’initiative baptisée Sauvons le Congo, lancée par le pasteur Fernando Kutino. Au cours d’un prêche, ce dernier a manifesté sa volonté de servir de médiateur entre les hommes politiques, de rencontrer Étienne Tshisekedi, le leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), pour que tout le monde participe au scrutin. Il n’a pu voir Tshisekedi et a dû faire front contre ceux qui lui reprochaient d’être proche de Jean-Pierre Bemba. Arrêté pour « incitation à la désobéissance civile », une chaîne de télévision kinoise appartenant à Bemba a, le même jour, diffusé la cassette de son prêche dans un stade de la capitale, le jour de son arrestation. But de l’opération : prouver l’innocence du pasteur qui avait déjà, en 2003, pris le chemin de l’exil pour échapper aux tracasseries de tous ordres de la part des autorités.
Les confessions religieuses, dont l’importance et le rôle sont directement liés à la faillite de l’État, restent les seules structures organisées. Outre leur emprise spirituelle, leurs actions sociales les rendent crédibles auprès de la population. Sous le régime du maréchal Mobutu, elles entretenaient des relations tendues avec le pouvoir. En 1972, le cardinal Joseph-Albert Malula, alors archevêque de Kinshasa, dut ainsi s’exiler à Rome. Pendant des années, à travers ses lettres pastorales, la Conférence épiscopale s’est régulièrement exprimée sur la situation socio-économique du pays, même si elle prenait garde de ne pas attaquer les autorités de front.
En 1991, au lendemain de l’ouverture démocratique, l’Église s’est davantage impliquée dans le débat politique : Mgr Laurent Monsengwo, archevêque de Kisangani, nommé président de la Conférence nationale souveraine (CNS), jouit de la sympathie d’une frange importante de la population acquise au changement et usée par près de trois décennies de mobutisme. On l’accuse même d’être « favorable à l’opposition ». Il s’en tirera, malgré les nombreux écueils, et contribuera à l’élection d’Étienne Tshisekedi au poste de Premier ministre de la transition. Est-ce grisé par cette issue heureuse que le prélat finit par accepter un compromis avec le camp de Mobutu ? En tout cas, cette « faiblesse » vide de leur substance les résolutions de la CNS, installe la crise et jette Monsengwo en pâture.
Conclusion du philosophe et théologien congolais Kä Mana : « On vit Mgr Monsengwo s’enfoncer peu à peu dans la diplomatie de l’ombre, rien qu’au nom de lui-même, avec des allées et venues en permanence entre Gbadolite, où Mobutu s’était retiré, et Kinshasa. [] Il apprit les dribbles politiciens, le double discours, l’art de la dissimulation et la navigation à vue. » Assez, sans doute, pour qu’à la veille des élections du 30 juillet le même Mgr Monsengwo se mette à réclamer un dialogue entre les différentes forces politiques, estimant que l’abbé Malu Malu ne jouait pas correctement son rôle. Et qu’il fallait offrir toutes les garanties pour un scrutin propre. Une démarche qui a inspiré cette explication à un membre de la société civile du Kivu : « Monsengwo, originaire du Bandundu [Ouest] s’est laissé manipuler par des hommes politiques retors qui redoutent l’élection d’un président originaire de l’Est. »
L’allusion à Joseph Kabila, swahiliphone comme les populations de l’Est, est nette. Mais elle ne suffit pas, loin s’en faut, à rendre compte de la démarche du prélat.
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