Des banlieues et des romans

Publié le 30 juillet 2006 Lecture : 3 minutes.

Dans un dossier du magazine Courrier international intitulé « Des écrivains déconnectés de la réalité » (n° 796, du 2 au 7 février 2006), des journalistes du monde entier s’étonnaient que les romanciers français fassent si peu cas des questions qui agitent actuellement leur société, en particulier le problème de l’intégration des minorités issues de l’immigration.
Le palmarès des prix littéraires 2005 est à cet égard éloquent. Entre les états d’âme d’un écrivain qui n’arrive pas à terminer son livre (François Weyergans, Trois jours chez ma mère, Goncourt), les confessions d’une jeune femme sur le divan d’un psychothérapeute (Nina Bouraoui, Mes mauvaises pensées, Renaudot), la chronique d’une rupture amoureuse (Régis Jauffret, Asile de fous, Femina), sans oublier les élucubrations de Michel Houellebecq sur la vacuité de notre époque (La Possibilité d’une île, Interallié), on est loin, très loin de la révolte des banlieues.
Toujours dans Courrier International, nos confrères suédois, américains ou encore anglais voyaient dans ce nombrilisme l’une des raisons de la perte d’influence de la littérature hexagonale dans le monde. Parmi les auteurs français qui s’exportent le mieux, on relève les noms de Bernard Werber, Marc Levy, Anna Gavalda, Éric-Emmanuel Schmitt, Fred Vargas. Aussi respectables soient ces écrivains, aucun critique ne les situe dans la lignée de Camus, de Gide ou de Sartre, et, pour autant que l’on sache, ce ne sont pas leurs réflexions sur l’état de la société française qui séduisent leur lectorat, très nombreux au demeurant.
Quant au livre récent qui bat tous les records de traduction (une cinquantaine), si ses qualités littéraires sont indéniables, on ne peut pas dire qu’il ait une portée éminemment intellectuelle, puisqu’il s’agit de La Vie sexuelle de Catherine M.
Comme si les romanciers de l’Hexagone avaient entendu le message, la rentrée 2006 s’annonce « très sociale », ainsi que le relève Livres Hebdo dans son édition du 30 juin. Beaucoup de livres ont la violence, le chômage, la crise du système scolaire comme toile de fond. Surtout, le thème des banlieues fait une apparition en force.
Honneur à l’une des pionnières. Après le succès de Kiffe kiffe demain (plus de 120 000 exemplaires vendus par Hachette Littératures depuis 2004, de très nombreuses traductions, y compris aux États-Unis), Faïza Guène, 21 ans, poursuit son exploration du quotidien des cités de la couronne parisienne dans Du rêve pour les oufs (même éditeur).
L’immigration, d’une façon ou d’une autre, est également très présente dans Réflexions clandestines (Maisonneuve et Larose) de Youssef Jebri, Bel-avenir (Flammarion) d’Akli Tadjer, Voleur de chevaux (Noir sur blanc) de Svetlan Savov, Réussir sa vie (Stock) de Bruno Gibert, Ma chambre au Triangle d’or (Stock également) de Pierre-Louis Basse.
Du côté des premiers romans, Livres Hebdo signale Azima la rouge (Flammarion) où Aymeric Patricot raconte notamment un viol collectif dans une cité et, chez Lattès, Le Poids d’une âme, dans lequel Mabrouk Rachedi met en scène un lycéen qui connaît de graves ennuis à cause de la drogue.
La violence et la misère n’ont évidemment pas de frontières et plusieurs auteurs ont trouvé dans d’autres régions du monde leur inspiration pour évoquer ces thèmes. C’est le cas en particulier de Pavel Hak (Trans, le Seuil), ainsi que de Juan Manuel Florensa (Sicaire, Calmann-Lévy) et de Sami Tchak (Le Paradis des chiots, Mercure de France), qui se sont intéressés aux bidonvilles de Lima pour le premier et de Bogotá pour le second.
Qui sait si de ce lot d’auteurs ne va pas émerger un nouveau Céline, dont le Voyage au bout de la nuit, l’un des plus grands romans français du XXe siècle, avait – en partie – pour décor la banlieue parisienne.

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