Bénin : des champs de coton enfin revigorés

En reprenant provisoirement en main la gestion de la filière, l’État a remotivé les producteurs et, bien qu’inférieurs aux prévisions, les résultats de la campagne qui s’achève s’avèrent positifs.

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Fiacre Vidjingninou

Publié le 10 avril 2013 Lecture : 5 minutes.

Depuis le début de l’année, les acteurs de la filière coton se livraient une véritable bataille de chiffres, qui ont été revus à la baisse par rapport aux 500 000 à 600 000 tonnes de coton-graine attendues pour la campagne 2012-2013. Tant et si bien que le 7 mars, à quelques semaines de la clôture de celle-ci, le gouvernement et la Société nationale pour la promotion agricole (Sonapra), chargée de la collecte et de l’égrenage, en ont donné un bilan d’étape précis qui remet les pendules à l’heure. Finalement, pour 2012-2013, la production s’établirait à plus de 226 000 t (générant 98,6 t de fibres) sur une superficie d’environ 350 000 ha ensemencés. Un résultat en hausse de 30 % comparé à celui de la précédente campagne et de 67 % par rapport à 2010-2011.

Cette année, au lieu d’attendre six à douze mois, nous avons été payés le jour de la pesée.
Antoine Dossou, responsable d’une association de producteurs.

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Une performance qui reste toutefois largement en deçà de la capacité des 18 usines d’égrenage du pays, de 600 000 t, et très loin derrière celles du Burkina Faso et du Mali. Ce dernier, malgré la guerre, a récolté plus de 480 000 t cette année, tandis que le Burkina, avec 630 000 t, conforte sa place de premier producteur et exportateur de coton d’Afrique de l’Ouest – un rang qu’occupait le Bénin il y a encore une dizaine d’années, avec une production de 420 000 t.

Contrats cassés

Au-delà du débat sur les volumes de production, c’est surtout la reprise en main de la filière par l’État qui a marqué la campagne cotonnière qui s’achève. En avril 2012, le gouvernement a cassé les contrats qui liaient l’État aux entreprises de l’homme d’affaires Patrice Talon (visé par une plainte du ministère de l’Agriculture pour détournement de deniers publics concernant les subventions des intrants coton – graines, engrais, insecticides – de la campagne 2011-2012). Il a également suspendu l’accord-cadre qui déléguait la gestion de la filière au secteur privé, via l’Association interprofessionnelle du coton (AIC), structure faîtière réunissant les producteurs, les égreneurs et les distributeurs d’intrants.

Pour la campagne 2012-2013 et la suivante, l’État a donc mis en place un cadre transitoire et pris le contrôle de la gestion de la production, rétrocédée à la Sonapra, en excluant l’AIC et la Fédération des unions de producteurs (Fupro) du Bénin, jusqu’à ce qu’un cadre de gouvernance révisé soit mis en oeuvre.

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Après un début d’année 2012 très tendu entre l’État et les professionnels, le gouvernement a multiplié les efforts pour relancer la filière et remotiver les producteurs. Il a mobilisé 82 milliards de F CFA (125 millions d’euros) de prêts par l’intermédiaire de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) pour financer les besoins de cette campagne, dont notamment l’achat d’intrants ou le règlement aux producteurs. Il a par ailleurs accepté de réduire le prix de cession du sac de 50 kg d’engrais aux producteurs de coton (qui est passé de 12 000 F CFA à 11 000 F CFA) et a fixé le prix d’achat du coton-graine premier choix à 250 F CFA/kg (contre 190 puis 200 F CFA lors des deux précédentes campagnes) et celui du deuxième choix à 200 F CFA/kg (contre 140 puis 160 F CFA).

Cliquez sur l'image.Des mesures dont les 325 000 familles de cotonculteurs semblent satisfaites. « Le retour de l’État dans la filière est une bonne chose. Au lieu d’attendre six à douze mois avant d’être payés, cette année, nous avons reçu notre argent le jour même de la pesée », confirme Antoine Dossou, responsable de l’Association des producteurs de coton de Hlanhonou (dans le sud, dans la région d’Abomey). « Le problème, explique l’agroéconomiste Charles Amoussou, c’était que les producteurs, endettés et spoliés par les autres acteurs de la filière, en étaient arrivés à ne plus vouloir cultiver le coton et à le boycotter de manière violente parce qu’il les appauvrissait, n’ayant pas été payés à bonne date pour leur récolte. »

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Après cette première année de reprise en main, l’objectif de l’État est donc atteint puisque, selon Sabaï Katé, le ministre de l’Agriculture, « ces actions et l’implication personnelle du chef de l’État ont suscité chez les producteurs un engouement qui a permis d’atteindre un rendement de 1,3 t par hectare en moyenne, soit une augmentation de près de 15 % par rapport à la dernière campagne ». Outre ses réunions avec les acteurs de la filière, la mise en place d’une commission interministérielle et ses « descentes » pour sensibiliser les producteurs à la commercialisation, le président Boni Yayi s’est en effet impliqué personnellement, au point de faire planter son propre champ, sur 100 ha, dans sa commune natale de Tchaourou (Centre-Est).

Les partenaires techniques et financiers restent toutefois attentifs aux résultats de cette campagne, s’inquiétant de ce que cette gestion par l’État, ainsi que les mesures accordées aux cotonculteurs, n’aboutissent à des déficits importants. Une inquiétude qui n’est plus fondée selon Marcel de Souza, le ministre du Développement, de l’Analyse économique et de la Prospective : début mars, la valeur des ventes dépassait 83,5 milliards de F CFA pour le coton-fibre et 8,6 milliards pour le coton-graine (sans compter les déchets « lint cleaner », faits de matière fibreuse et de résidus végétaux). Un bilan bénéficiaire donc, par rapport aux 82 milliards empruntés.

Un poids lourd

Selon les données publiées en décembre 2012 par l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique (INSAE) béninois, la filière cotonnière représente 60 % du tissu industriel national, plus de 12 % du PIB du pays, 90 % des exportations agricoles, 40 % de ses entrées de devises… et elle assure un revenu à plus d’un tiers de la population. F.V.

Zonage

L’État ne repassera la main au privé que lorsqu’un mode de gestion pérenne sera assuré à cette filière, vitale pour l’économie du pays (lire encadré). Le modèle béninois, qui séparait les fonctions d’encadrement des producteurs, d’égrenage, de gestion de l’organisation et des activités – quitte à les coiffer d’une entité interprofessionnelle – ayant manifestement échoué, un système qui a déjà fait ses preuves a été choisi. Celui que la Compagnie française pour le développement des fibres textiles (CFDT) suivait dans les années 1950 afin d’étendre la culture du coton en Afrique francophone. Selon ce dernier, c’est l’égreneur qui prend à son compte l’avance des intrants aux producteurs, leur préfinancement, ainsi que l’appui et le conseil aux producteurs, l’achat et la collecte du coton-graine, l’égrenage, la valorisation des produits finis et des coproduits, sans oublier la promotion de la culture du coton dans sa zone. Un modèle repris avec succès – une fois confié à des professionnels du secteur – au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire.

Le président Boni Yayi a opté pour un mode de gouvernance de la filière par « zonage ». Les opérateurs privés géreront des zones (cinq a priori) constituées autour des usines d’égrenage. Le gouvernement a élaboré un document intitulé « Réflexions sur la proposition de nouvelle gouvernance de la filière coton au Bénin », qui, depuis décembre, sert de base à ses différentes rencontres avec les professionnels. Si la prochaine campagne sera encore administrée par l’État, le temps de mettre d’accord tous les acteurs sur ce cadre révisé, celle de 2014-2015 devrait relever à nouveau du secteur privé. Et c’est sans doute la meilleure option pour que le coton béninois retrouve son lustre d’antan et sa place en Afrique de l’Ouest.

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