Et si Israël changeait de ton ?

Publié le 30 avril 2006 Lecture : 6 minutes.

Pour la première fois de son histoire, Israël va avoir un ministre de la Défense sans passé militaire. C’est une bonne nouvelle dans une actualité moyen-orientale par ailleurs plutôt sombre. Elle laisse espérer, même si c’est utopique, qu’Israël pourrait reconsidérer ses relations avec la région, et choisir le langage du bon voisinage plutôt que celui de la force.
Un tel changement aurait un effet positif immédiat sur l’actuelle confrontation d’Israël avec le mouvement palestinien du Hamas et la République islamique d’Iran, une confrontation qui pourrait être explosive. Il introduirait un élément de rationalité dans une situation qui menace d’échapper à tout contrôle.
Amir Peretz, le ministre de la Défense désigné, est un juif marocain dont la famille a émigré en Israël quand il avait 4 ans. Il a grandi à Sderot, une petite ville pauvre du sud du pays. Un accident survenu pendant son service militaire l’a obligé à se déplacer en fauteuil roulant pendant deux ans avant de retrouver l’usage de ses jambes. Il a travaillé dans l’agriculture, a été maire de sa ville natale de 1983 à 1988, puis porté à la tête de la fédération des syndicats israéliens, l’Histadrout, point de départ d’une carrière politique nationale. En novembre 2005, il a créé la surprise en supplantant l’octogénaire Shimon Pérès comme leader du Parti travailliste, aujourd’hui partenaire principal de Kadima dans la coalition dirigée par le Premier ministre, Ehoud Olmert.
Lors de la récente campagne électorale, Peretz a introduit un ton nouveau dans la politique israélienne par des déclarations telles que : « Il est temps qu’Israël renonce à son arrogance à l’égard des Arabes. La paix est la meilleure garantie de la sécurité. » Ou bien : « Je considère que l’occupation est un acte immoral Je veux mettre fin à l’occupation non pas à cause de la pression palestinienne, mais parce que c’est dans l’intérêt d’Israël. »
Ces bons sentiments survivront-ils aux charges de la fonction ? Peretz aura la lourde tâche d’asseoir son autorité sur l’establishment militaire israélien – un État dans l’État hypertrophié, regorgeant d’argent et de matériel militaire américains, dont la philosophie pourrait se résumer dans la formule « le seul bon Arabe est un Arabe mort ».
Depuis la création d’Israël en 1948, ses dirigeants ont utilisé l’armée pour dominer la région par la force. Telle a été la stratégie du fondateur de l’État hébreu, David Ben Gourion, imité presque sans exception par ses successeurs. Rien ne donne à penser qu’Ehoud Olmert ait la moindre intention de faire autrement.
La véritable question est de savoir si Amir Peretz, à la tête du puissant ministère de la Défense, pourra prendre une orientation moins agressive. Contrairement à ses prédécesseurs – et, en vérité, à tous les hauts gradés de l’armée et aux responsables des services de sécurité -, il n’a pas de sang sur les mains. Son nom n’est pas associé aux massacres, aux assassinats, aux invasions et aux raids meurtriers qui ont caractérisé les relations d’Israël avec ses voisins. Cette particularité renforce sa crédibilité auprès des Arabes et de la communauté internationale. Reste à voir s’il est capable de transformer la doctrine militaire d’Israël dans un sens plus conciliateur ou si c’est au contraire le ministère de la Défense qui le transformera.
Comment Peretz réagira-t-il aux problèmes immédiats que posent le Hamas et l’Iran ? Sa voix se fera-t-elle entendre dans le gouvernement Olmert ? Sera-t-il à même de plaider en faveur du dialogue et de la négociation de préférence à la guerre ?
Avec les États-Unis, Israël s’est déjà embarqué dans une politique de confrontation violente à la fois avec le mouvement islamique palestinien et la République islamique d’Iran. À Tel-Aviv comme à Washington, le réflexe pavlovien immédiat a été de menacer l’Iran d’une attaque militaire et, en même temps, de boycotter et d’affamer le Hamas. Selon le quotidien israélien Haaretz, Israël et les États-Unis font alliance pour empêcher les transferts de fonds au gouvernement du Hamas, et Washington travaille à une « offensive financière » contre les comptes bancaires iraniens en Europe et les institutions financières appartenant à l’Iran. Stuart Levey, sous-secrétaire au terrorisme et aux informations financières au département du Trésor américain, était en Israël la semaine dernière pour coordonner les mesures économiques prises concernant l’Iran et le Hamas.
Les dirigeants israéliens les plus belliqueux sont plus portés à liquider leurs adversaires qu’à leur couper les fonds. Shaul Mofaz, le ministre de la Défense sortant, et Danny Yatom, un ancien chef du Mossad, ont l’un et l’autre proposé d’assassiner des dirigeants du Hamas. « Les ministres du Hamas sont des cibles d’assassinats légitimes », a déclaré Yatom, le 14 avril, sur la radio de l’armée israélienne, et un éditorialiste connu, Amir Oren, a demandé que l’on ordonne à une équipe du Mossad d’assassiner le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, présenté comme un nouvel Hitler.
Dans un pays normal, de tels propos feraient scandale et leurs auteurs seraient condamnés. En Israël, cela paraît normal. La question est de savoir si cette agressivité est tellement ancrée dans la psyché israélienne qu’elle résistera à toute possibilité de changement.
Une poignée d’Israéliens, comme la militante de la paix Galia Golan et l’ancien ministre du Travail Shlomo Ben Ami, ont fait remarquer qu’il vaudrait mieux négocier avec le Hamas plutôt que le combattre. Mais, à ma connaissance, aucun observateur et aucun homme politique n’ont jusqu’ici imaginé que les déclarations tonitruantes d’Ahmadinejad, selon lesquelles il fallait « rayer Israël de la carte », étaient peut-être plus une vive réaction au traitement brutal que fait subir Israël aux Palestiniens que l’indication d’une véritable intention de détruire l’État hébreu – ambition, de toute façon, dont l’Iran n’a pas les moyens.
N’importe quel observateur impartial du Proche-Orient reconnaît que le Hamas ne demande à Israël que la réciprocité : reconnaissez les droits des Palestiniens et nous vous reconnaîtrons ; arrêtez vos assassinats ciblés et nous arrêterons nos attentats terroristes (le Hamas le fait en réalité depuis quinze mois) ; affirmez votre volonté de vivre en paix et de respecter les accords, et nous le ferons aussi.
Le problème est qu’Israël n’est pas disposé à négocier avec les Palestiniens, ni, en fait, avec aucun de ses voisins sur une base d’égalité. Il veut dominer et dicter ses conditions, considérant que c’est sa seule garantie de sécurité. De même, l’administration américaine du président George W. Bush préfère la guerre préventive à la dissuasion et à l’endiguement. Elle ne peut pas concevoir une négociation entre égaux avec l’Iran dans laquelle les intérêts des deux parties seraient pris en compte, y compris les intérêts sécuritaires et la place de l’Iran dans cette si importante région du Golfe. Les États-Unis veulent la soumission, pas la coopération. Mais, avec la mentalité actuelle du monde musulman, il faudra attendre longtemps.
Pour l’instant, le monde s’inquiète sérieusement du bellicisme américain. Après le désastre de l’Irak, une guerre avec l’Iran est inimaginable. Un appel à des négociations avec Téhéran a été lancé, la semaine dernière, par Zbigniew Brzezinski, le conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter, ainsi que par trois anciens ministres des Affaires étrangères – l’Américaine Madeleine Albright, l’Allemand Joschka Fischer, le Français Hubert Védrine, et leurs homologues polonais, néerlandais et luxembourgeois (International Herald Tribune, 26 avril).
Brzezinski a affirmé qu’une attaque contre l’Iran serait « un acte de folie politique » et « une aventure très risquée, profondément contraire aux intérêts nationaux à long terme des États-Unis ». Faisant allusion à Israël et à ses amis américains, il a dénoncé « les mêmes sources que celles qui ont précédemment prôné la guerre en Irak ».
Mais quels arguments, quel raisonnement peuvent calmer les instincts belliqueux de Washington et de Tel-Aviv ? Certains dirigeants ne savent parler que le langage de la force. Le petit Marocain avec sa moustache à la Staline peut-il changer le cours des choses ?

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