De Louxor à Philae

Publié le 30 mars 2008 Lecture : 5 minutes.

Impossible d’oublier un voyage, même vieux de plus de quinze ans, au pays des Pharaons C’était en 1992, entre Le Caire et Abou Simbel. La civilisation plusieurs fois millénaire qui s’étire le long du Nil marque à jamais le cur de ceux qui s’en approchent. Une telle fascination ne s’estompe pas avec le temps. Au contraire, plus les années passaient, plus mon envie était grande de revenir à Louxor, l’ancienne capitale de Haute-Égypte, située à quelque 520 kilomètres au sud du Caire à vol d’oiseau À tel point qu’il m’était devenu impossible d’y résister plus longtemps, et je m’offrais un nouveau voyage vers « la ville aux cent portes ».
Dès le lendemain de mon arrivée, je me rends à Karnak pour une visite – presque rituelle – du Grand Temple d’Amon. Devant mes yeux aussi ébahis que lors de ma première visite, les uvres monumentales défilent avec majesté : l’allée des Sphinx, la statue de Ramsès II et le temple de Ramsès III, puis la salle hypostyle (c’est-à-dire dont le plafond est soutenu par des colonnes), l’obélisque d’Hatshepsout et la salle des fêtes de Thoutmôsis III, dont les couleurs originelles sont encore présentes sur les piliers et le plafond. Au bout du parcours, la statue du dieu scarabée Khépri, symbole de la victoire de la vie sur la mort, trône sur un socle de pierre au bord du lac sacré. Suivant la tradition, des touristes et des jeunes couples égyptiens en font le tour, certains avec amusement, d’autres avec recueillement : une fois pour la chance, trois fois pour un mariage heureux et sept fois pour la naissance d’un enfant, prétendent les guides
La nuit s’approche quand notre groupe commence la visite du temple de Louxor, fondé par Aménophis III. Dès que le soleil disparaît, le temple s’illumine grâce à de puissants projecteurs : le spectacle est grandiose. Nous avançons d’un pas timide dans l’allée des sphinx à têtes humaines puis nous nous arrêtons au pied de l’obélisque solitaire de 25 mètres de haut dont le frère jumeau – dressé sur la place de la Concorde à Paris – a été offert par le vice-roi d’Égypte Mohammed Ali au roi de France Charles X en 1830. Autre particularité du temple : dans son sanctuaire, l’orgueilleux Alexandre le Grand s’est fait représenter en pharaon ! De nos jours, des envahisseurs d’un genre nouveau laissent des traces beaucoup moins glorieuses.

Tourisme et modernité
Face aux dégradations causées par l’expansion du tourisme de masse, les sites archéologiques de Louxor et de ses environs ont dû s’adapter. Les touristes sont désormais canalisés entre des cordages et il n’est plus question de grimper sur des murs ou sur des pierres – vénérables vestiges – pour prendre une photo. Autre changement, un immense parc de stationnement avec gare routière a été créé à l’entrée de la Vallée des Rois. La liaison avec le site des monuments funéraires est assurée par des petits trains sur pneus censés limiter les dommages causés par les véhicules plus lourds. Mais les touristes, eux aussi, sont protégés. Si des galeries marchandes ont vu le jour à la sortie de la plupart des sites, les vendeurs à la sauvette, eux, ont quasiment disparu.
Louxor elle-même a bien changé. Des quartiers entiers sont en rénovation. Leurs habitants ont été déplacés et relogés en périphérie. Grâce aux retombées de l’activité touristique, la ville peut s’offrir le luxe de s’aérer, de respirer. Conséquence : des boulevards bordés de larges trottoirs plantés d’arbres sont tracés, des maisons traditionnelles en briques crues sont abattues au bulldozer et des voies de circulation à deux chaussées séparées par un terre-plein central sont construites. Contrastant avec la vieille ville, dont les ruelles étroites ne bénéficient toujours pas d’éclairage, le paysage des quartiers neufs de la périphérie ressemble à s’y méprendre à celui de certaines banlieues françaises.

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Au fil du fleuve
Parallèlement à l’accroissement démographique et à l’essor du tourisme, l’activité sur le Nil aussi s’est développée. Désormais, le transport fluvial s’effectue également de nuit – ce qui constitue un gain de temps considérable. Après une navigation nocturne, nous accostons à Edfou, situé à une centaine de kilomètres en amont de Louxor. Devant le temple dédié à Horus (le plus grand après celui de Karnak), un faucon de plus de 2 mètres en granite garde l’entrée et nous toise de son il inquiétant. Là aussi, une immense esplanade a été créée et les vieilles maisons qui ceinturaient l’édifice ont disparu
En poursuivant notre remontée du Nil, nous arrivons enfin à Assouan, dont le barrage, d’une longueur de 3 600 mètres, est la construction la plus colossale d’Égypte (17 fois le volume de la grande pyramide de Khéops). Une réussite technique qui a dompté le fleuve en créant le lac Nasser, mais a supprimé les crues qui fertilisaient la vallée. D’où l’envolée spectaculaire de l’emploi des engrais chimiques pour les cultures, mais aussi la perte de nombreux trésors archéologiques. Ceux, en tout cas, qui n’eurent pas la chance d’être sauvés de la montée des eaux par la communauté internationale, comme ce fut le cas pour les temples d’Abou Simbel et de Philae.
Ce dernier, dédié à la déesse Isis, a conservé un charme insulaire très particulier. Après le sauvetage de 1974-1976, il s’étend désormais sur l’île d’Agilkia, située entre l’ancien barrage (1908) et le nouveau (1971). Il comprend deux pylônes (constructions monumentales délimitant différents espaces au sein du temple), une cour intérieure bordée de colonnes, une salle hypostyle ainsi que des chapelles et plusieurs constructions secondaires : un temple à Hathor, la déesse de l’Amour, le kiosque de l’empereur romain Trajan et une magistrale allée de portiques reliant le grand temple aux appontements sur le Nil.
Enfin, au terme de nos pérégrinations au fil du fleuve, nous accostons au port d’un petit village nubien. Les enfants jouent dans la poussière de la grande place, la mosquée blanche aux soubassements pourpres se dresse fièrement dans la lumière, les murs des maisons sont colorés, les jardins cultivés Bref, le décor évoque une Égypte sereine et un peu intemporelle, bercée entre son passé prestigieux et une modernité paisible. Pour couronner le tout, une famille d’artisans nous convie dans sa modeste demeure à boire le thé accompagné de quelques pâtisseries. Un moment de simplicité inoubliable. Et tout aussi magique – en plus vivant bien sûr – que l’atmosphère d’un temple antique

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