Dialogue de sourds

Au lieu de supprimer les subventions, les Américains veulent intéresser les producteurs du continent aux biotechnologies. Comme à la mi-janvier à Bamako.

Publié le 30 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

Les Africains n’en démordront pas : les subventions aux producteurs de coton américains, européens et chinois doivent être, à terme, totalement supprimées. C’est le message sans appel que les ministres du Mali, du Bénin, du Burkina, du Sénégal et du Tchad ont rappelé à la délégation américaine, conduite par James Butler, sous-secrétaire adjoint à l’Agriculture, en visite dans la capitale malienne du 12 au 14 janvier. En déstabilisant le cours mondial de l’or blanc, les subventions mettent en danger les filières cotonnières en Afrique de l’Ouest et centrale, qui, pour la seule campagne 2004-2005, encourent un déficit de plus de 400 millions de dollars. Dans ces pays où le coton représente entre 2 % et 5 % du PIB (contre 0,0004 % aux États-Unis), la conjoncture est déjà particulièrement difficile : le cours mondial de la fibre a atteint, en novembre 2004, son plus bas niveau depuis 2001 (il a depuis entamé une légère remontée), et la hausse de l’euro face au dollar est très défavorable à la zone CFA.
Face à ce constat, les États-Unis ont affirmé qu’ils réduiraient leurs aides si l’Union européenne (UE) et la Chine en faisaient autant, laissant entendre que si responsabilité il y a, elle doit être partagée. Reste que les subventions sont essentiellement américaines : de l’ordre de 3 milliard à 4 milliards de dollars par an, contre environ 1,2 milliard de dollars pour la Chine et quelque 700 millions de dollars pour l’UE. Par ailleurs, contrairement aux Américains, ces derniers sont des importateurs nets de coton, et l’UE a décidé d’abandonner son système d’aide directe à la production dès le 1er janvier 2006, ce qui, inévitablement, découragera les producteurs espagnols et grecs.
C’est donc un revers qu’enregistre James Butler qui pensait pouvoir ébranler la position des Africains sur le dossier et décourager leurs offensives à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En effet, en avril 2003, le Mali, le Bénin, le Burkina et le Tchad ont déposé devant l’OMC une « Initiative sectorielle en faveur du coton » pour demander la fin des subventions, la réparation des préjudices subis et le traitement spécifique du dossier coton en dehors des négociations globales sur l’agriculture. La démarche, relayée inlassablement par les chefs d’État concernés lors de leurs déplacements à l’étranger, a été traitée avec indifférence par les États-Unis et l’UE lors de la conférence ministérielle de l’OMC à Cancún, au Mexique, en septembre 2003.
Cette attitude, ressentie comme une « gifle » par les pays du continent, les avait confortés dans leur intransigeance et a abouti à faire échouer le sommet. Mais le vent est en train de tourner : en juin 2004, à la suite d’une plainte déposée par le Brésil et à laquelle le Bénin s’est joint en tierce partie, l’OMC a jugé que les aides étatsuniennes étaient illégales. Washington a fait appel de la décision en octobre, et le verdict est attendu début mars 2005. Si les États-Unis sont condamnés, ils devront, à brève échéance, mettre fin aux subventions à leurs producteurs.
En attendant, lors des discussions à Bamako, l’Oncle Sam a promis de soutenir les cinq pays représentés pour moderniser leurs industries cotonnières. L’enjeu est notamment de les convertir aux biotechnologies. Tout en restant prudents, plusieurs d’entre eux ont déjà manifesté un intérêt pour le coton génétiquement modifié (CGM). Le Burkina Faso expérimente depuis juin 2003 du coton transgénique. Au Mali, l’Institut d’économie rurale (IER), l’Usaid, Monsanto, Syngenta et Dow Agroscience ont conclu un plan de cinq ans pour développer la culture de CGM et conduire les premiers tests. Faute d’avoir pu convaincre sur le dossier des subventions, les Américains ont obtenu à l’issue de leur séjour l’organisation, en juin 2005 dans la capitale malienne, d’une nouvelle rencontre (après celle qui s’est tenue en juin 2004 à Ouagadougou) consacrée à l’introduction des biotechnologies dans la culture du coton. D’ici là, ils ont invité les ministres du Commerce concernés à se rendre en visite de travail aux États-Unis.
Après avoir affaibli les filières du continent avec leurs subventions, ils affirment que l’avenir passe par les biotechnologies et, si possible, par celles que produisent leurs propres firmes, au premier rang desquelles le géant Monsanto. Ce qui ne les empêche pas de travailler en parallèle à l’élaboration de normes de qualité de coton qui, à terme, pourraient exclure la fibre africaine des importations américaines. Bref, les États-Unis continuent de se battre sur tous les fronts, et tous les moyens sont bons pour protéger leurs cotonculteurs.

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