Touche pas à ma table !

Publié le 29 octobre 2006 Lecture : 2 minutes.

Il y a quelques années, un Marocain entreprenant eut l’idée d’exporter en Europe des petites tables fabriquées dans son pays. Vous les connaissez : il s’agit de celles dont le dessus est fait de mosaïque multicolore et les pieds de fer forgé. Le succès fut immédiat, à tel point que plusieurs entrepreneurs se lancèrent dans l’aventure et gagnèrent, eux aussi, beaucoup de picaillons. Il n’y avait pas que des Maghrébins sur le coup. Je me souviens avoir rencontré en France, à Bayeux, un couple plus- Français-qu’eux-tu-meurs, puisqu’elle Normande et lui Breton, qui descendait chaque mois au Maroc dans leur pick-up, faisait le plein de tables dans les environs de Marrakech et revenait les écouler dans le bocage. Les maisons de campagne, du côté de Bayeux, si elles pouvaient parler, elles aligneraient sans problème quelques mots du dialecte marrakchi. Il faut dire qu’ils ont quelque chose d’artistique, d’exotique, de tiers-mondiste un peu mondain, ces petits objets jolis. L’artisan marocain content, le bobo européen content, tout le monde content.
Et soudain, catastrophe, les Chinois !
Voilà que des espions industriels de l’empire du Milieu découvrent cette filière d’exportation de high-tech made in Morocco. Une lueur satanique s’allume dans leurs yeux : des tables, mais nous pouvons fabriquer ça ! s’exclament-ils en chur et en chinois. Ils importent en douce quelques modèles, les décortiquent (ce n’est pas difficile), en font un schéma industriel et ordonnent à l’unité 317 de l’usine de Kon-Tre Fas-Hon de produire 10 000 guéridons marocains par an.
Depuis quelques mois, les tables soi-disant chérifiennes en vente à Bruxelles ou à Amsterdam me regardent d’un air impénétrable. Le masque asiatique ! Pendant des années, elles m’avaient fait des clins d’il, genre : salut, fils du pays, tu te souviens de nous ? C’est sur nous que trônait la théière emplie de thé brûlant, quand tu rentrais de l’école Mais aujourd’hui, rien. Elles me regardent d’un il inexpressif, d’un il de verre, en somme, ou même de plastique. Et pour cause : elles sont en plastique. C’est bien là l’outrage ultime. Elles ne pèsent plus rien, ces tables bidons, faciles à transporter de Shanghai aux rivages de l’Europe. Les tables marocaines, elles en faisaient des tonnes pour se faire désirer, elles alourdissaient le pick-up jusqu’à la rupture d’essieu. C’était là leur charme : il fallait les mériter. On se brisait le dos à les transporter dans le jardin. Mais après, elles ne bougeaient plus, c’était un meuble contradictoire, tout à fait immobile. Le truc chinois, lui, il s’envole quand on éternue.
Que faut-il faire contre ces satanés Chinois ? Je suggère au ministère du Tourisme, à Rabat, qu’il introduise un certificat d’authenticité, une appellation d’origine contrôlée ou quelque chose comme ça pour certifier que la table marocaine qu’on achète en Europe est bien une fille de chez nous et pas une fausse brune cantonaise qui se donne des airs. Et si ça ne suffit pas, qu’attendent les artisans de Marrakech et de Salé pour se mettre à fabriquer des petits bouddhas boudeurs ?

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