Opérations séduction

Face à la forte hausse des échanges commerciaux, les grands ports africains multiplient les investissements. Quitte à faire appel au secteur privé.

Publié le 29 juillet 2007 Lecture : 7 minutes.

Plus de 90 % des échanges internationaux s’effectuent par voie maritime. Même si elle n’absorbe que 2,5 % de ces flux, l’Afrique est appelée à prendre une part de plus en plus importante dans le commerce mondial. Mieux, contrairement à d’autres zones du globe, qui misent également sur le fret aérien, les ports africains demeurent les points privilégiés d’entrée et de sortie de fret, ces derniers pouvant absorber jusqu’à 95 % des activités d’import-export de pays comme la Côte d’Ivoire ou le Cameroun. L’importance de ce commerce alliée aux effets de la mondialisation tend à modifier durablement les flux. Conjuguée à la hausse de la demande en matières premières et au rôle de plus en plus important des économies du Sud, cette évolution entraîne un regain d’activité dont l’Afrique bénéficie. À l’origine de ce nouveau dynamisme, on trouve un acteur majeur : la Chine.
En 2006, l’empire du Milieu a absorbé 7 % des exportations africaines contre seulement 3,2 % en 2002. De 817 millions de dollars en 1977, le montant de ses échanges avec le continent a dépassé les 40 milliards l’an dernier, un chiffre supérieur à celui du commerce avec l’Union européenne. Une explosion directement répercutée sur la demande en matière de transport avec, à la clé, la redéfinition des dessertes africaines et l’ouverture de nouvelles voies. Autrefois concentrées sur un axe reliant les États-Unis au Japon en passant par l’Europe (hormis pour les hydrocarbures), les routes se multiplient vers l’Amérique, l’Inde, l’Afrique du Sud, l’océan Indien et, naturellement, l’Asie du Sud-Est. La stratégie de développement de Delmas, compagnie cédée en 2005 par le groupe Bolloré au français CGA-CGM, en témoigne. Historiquement tournée vers le fret avec l’Afrique, elle a inauguré depuis cette opération de nouvelles liaisons entre l’Afrique du Nord et de l’Ouest d’une part, et Dubaï, l’Inde et l’Asie d’autre part. L’Africa Express (Afex) raccorde depuis peu le nord de la Chine à l’Afrique de l’Ouest via la Corée du Sud, l’Afrique du Sud et Maurice avec des navires de 1 700 à 2 000 EVP (équivalent vingt pieds, ce qui correspond à la taille standard d’un conteneur de 30 m3). Inaugurée au mois de mars, la ligne North Africa Express relie, quant à elle, l’Afrique du Nord à l’Asie.

Outre qu’elle bouleverse la hiérarchie des armements (seulement trois armateurs cumulent 75 % de parts de marché sur le continent), cette nouvelle donne exige des ports africains qu’ils s’adaptent sous peine d’être relégués au rang de sites secondaires. Du point de vue des infrastructures, ils doivent être en mesure de traiter plus de fret, ce qui suppose des rallongements de quais, la construction de nouveaux terminaux à conteneurs, l’acquisition d’équipements (portiques de quais, grues, etc.), le dragage régulier des chenaux ou de nouveaux entrepôts. Parallèlement, ces chantiers doivent bénéficier d’une politique commerciale attractive afin de limiter les temps de relâche des navires tout en assouplissant les démarches administratives. Or, jusqu’à présent, les capacités limitées des ports africains, pour la plupart victimes d’engorgement, et la faiblesse de leurs équipements n’ont pas joué en leur faveur. Avec l’Égypte, le Maroc et, dans une moindre mesure, la Côte d’Ivoire, seule l’Afrique du Sud possède des ports ultramodernes pouvant traiter chaque année plus de 500 millions de tonnes de fret. Hormis ces exceptions, la majorité des quelque 35 ports commerciaux du continent ne peut accueillir les navires d’une capacité de plus de 1 600 EVP et ceux dont le tirant d’eau est supérieur à 10 mètres. Insuffisantes, les infrastructures de stockage obligent les opérateurs à travailler sur quatre voire cinq niveaux de boîtes, d’où des goulets d’étranglement souvent considérables. Quant aux législations douanières, leur rigidité ou, inversement, leur modification fréquente comme au Nigeria, a un effet déstabilisant sur les opérateurs portuaires.
Des évolutions très nettes sont toutefois perceptibles. Alors que certains ports – comme celui de Matadi (RD Congo), qui est pourtant jumelé avec celui d’Anvers – continuent d’afficher un niveau insuffisant d’infrastructures, d’autres se sont lancés dans une modernisation tous azimuts afin d’anticiper une hausse du trafic, en particulier conteneurisé. Des ports qui souhaitent rapidement combler leur retard en engageant des investissements.
C’est ainsi que l’autorité portuaire de Namibie, qui a débloqué 40 millions de dollars pour renforcer ses infrastructures, disposera de scanners fournis par le chinois Nuctech Company. Idem pour Abidjan, dont le port a reçu en juin dernier un scanner à double tunnel pouvant traiter trente camions par heure. Pour faciliter l’accès de certains sites, les ports de Conakry, de Freetown et de Monrovia viennent d’être dragués. Les autorités congolaises ont décidé, tout comme celles du Togo, de créer un guichet unique en 2007 pour accélérer les dédouanements. Un système de caméras et de radars accompagnera prochainement les navires mouillant dans le port de Douala, et l’adoption du système Sydonia permettra un meilleur suivi des marchandises. Autre exemple avec le port ivoirien de San Pedro, qui a lancé, en mai, un appel d’offres en vue d’améliorer ses capacités d’accueil.
Au-delà de ces multiples initiatives, l’heure est surtout aux grandes manuvres. Plusieurs chantiers d’envergure modifieront en profondeur l’offre africaine au cours des prochaines années. Au Maroc, au Sénégal mais aussi en Côte d’Ivoire ou à Madagascar, notamment. Aux réhabilitations coûteuses de ports existants, les gouvernements préfèrent désormais construire des complexes plus modernes en s’appuyant sur le secteur privé. Les infrastructures portuaires constituent d’ailleurs l’un des rares domaines pour lesquels les partenariats public-privé ont montré toute leur pertinence en Afrique.

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À Madagascar, le port d’Ehoala, dont la première pierre a été posée en juin, témoigne de cette nouvelle dimension. De ce complexe d’un coût de 800 millions de dollars, situé près de Taolagnaro (Fort-Dauphin, dans l’extrême sud), émergera le plus grand port en eaux profondes de l’océan Indien d’ici à 2010. Idem en Tunisie avec le futur port d’Enfidha ainsi qu’au Maroc, où le site de Tanger-Méd pourra atteindre 8 millions d’EVP d’ici à 2012, et relier les ports ouest-africains.
Devenir un centre de transbordement, c’est aussi le souhait du Port autonome de Dakar (PAL) depuis que Dubai Ports World (DPW), déjà présent à Djibouti, a obtenu au mois de juin, la concession pour la gestion des activités portuaires. 500 millions de dollars seront injectés pour la réhabilitation du site et plusieurs nouveaux terminaux porteront sa capacité totale à 2 millions d’EVP. Alors que le port de Cotonou est loin d’être un modèle de performance et que les ports nigérians sont régulièrement engorgés, celui de Lomé entend profiter de l’avantage acquis pendant la crise ivoirienne. Seul port en eaux profondes de l’Afrique de l’Ouest, sa privatisation partielle lui a permis de franchir les 5 millions de tonnes en 2006. En plus de l’arrivée de deux nouvelles grues mobiles, 100 millions d’euros d’investissement doivent le doter de nouvelles infrastructures, en particulier un troisième quai, équipé de portiques mobiles.
Le gouvernement sud-africain a, pour sa part, débloqué plus de 2 milliards d’euros sur les cinq prochaines années afin d’agrandir les sept ports du pays, notamment celui de Durban. La construction d’un nouveau complexe en eaux profondes, à Ngqura, près de Port Elizabeth, pour un montant de 250 millions d’euros permettra de recevoir des navires de plus de 10 000 EVP. Si les pays de l’hinterland ouest-africain ont été contraints par la crise ivoirienne de se tourner vers des « ports de substitution » comme Tema (Ghana) ou Lomé, cette situation devrait se résorber. Le Port autonome d’Abidjan (PAA) demeure le plus moderne de la région avec un trafic de 17 millions de tonnes en 2006. Il devrait retrouver un volume d’activité comparable à celui de 2001 (environ 20 millions de t.) d’autant plus rapidement que l’agrandissement du PAA se profile avec l’aménagement d’un site en eaux profondes.

L’aménagement de nouvelles zones portuaires n’est pas le seul fait marquant. L’heure est au renforcement de la sécurité, désormais érigée au rang d’argument commercial. Contrôle des frontières terrestres, multiplication de parcs à fret sur les axes routiers, escortes de camions, surveillance des terminaux et des chenaux Rien n’est laissé au hasard pour faire la différence et capter le maximum de clientèle. D’autant que des législations internationales imposées par l’Organisation maritime internationale (IMO), comme l’International Ship and Port Facility Security (ISPS) ou la Container Security Initiative, sont devenues obligatoires pour lutter contre les menaces terroristes. Des pays comme le Cameroun ou la Côte d’Ivoire les ont déjà adoptées, ce qui exige de la part des commandements de délivrer un certain nombre de documents (certificat de sûreté, liste de l’équipage, déclaration de marchandises dangereuses, etc.). Sûreté en mer, donc, mais aussi sur terre, avec la sécurisation des axes routiers empruntés par les transitaires. C’est le cas du port de Dakar, qui, depuis l’an dernier, a sécurisé son corridor jusqu’au Niger. Un dispositif repris cette année par le port de Tema et celui de Lomé, dont le service « Solidarité sur mer » accompagne les camions jusqu’à la frontière Nord en évitant les nombreux barrages présents sur cet axe.
De plus en plus sollicités, les ports africains devront à l’avenir accueillir toujours plus de porte-conteneurs, mais aussi de vraquiers (méthaniers et tankers) ou encore de rouliers (RO/RO). Des trafics et des fréquences en augmentation, qui supposent une mise à niveau significative. L’Afrique pèse encore peu dans le commerce mondial, mais son économie maritime n’en est pas moins en plein bouleversement.

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