Mystérieuse Sanaa

Publié le 29 juillet 2007 Lecture : 3 minutes.

Arabia felix, l’Arabie heureuse. Une agence touristique n’aurait pu trouver meilleur slogan. Mais ce sont les Romains qui, les premiers, affublèrent de cette épithète le sud de la péninsule Arabique. C’était au temps où les riches Sabéens y régnaient en maître. C’était au temps où les commerçants allaient y chercher l’encens, et où l’on croyait encore à l’existence du phnix. C’était au temps où la reine de Saba suscitait l’admiration de ses sujets. Que reste-t-il aujourd’hui de l’Arabie heureuse ?
Les fables qui fascinaient jadis les voyageurs venus d’Occident ont laissé place aux images d’Épinal. Des clichés dont se régalent les touristes et que les Yéménites, eux-mêmes, cultivent à l’envi. Au sens propre comme au figuré. Le qat tout d’abord. Véritable institution dans le pays, cette plante euphorisante vendue à tous les coins de rue a pour effet de réveiller les esprits, de stimuler la conversation et de gonfler les joues de tous les mâcheurs insatiables. Une fois al-Asr (la prière du début de l’après-midi) achevée, les commerçants abandonnent leur boutique, les fonctionnaires leur bureau et les policiers leur vigilance pour mastiquer en paix. Le temps est alors comme suspendu.

Rien ne saurait en effet perturber, ni empêcher, une « séance de qat ». Même à Sanaa, la bouillonnante capitale, qui compte près de 1,5 million d’habitants. En juillet 2005, la hausse du prix des carburants annoncée par le gouvernement provoque la colère de la population. Mais le matin uniquement. Les manifestations, qui obligent pourtant l’armée à intervenir, s’arrêtent irrémédiablement à la mi-journée Soulèvement populaire ou pas, tous les après-midi sont consacrés au masticage des stimulantes feuilles. Jusqu’à ce que le muezzin annonce, comme un rappel à l’ordre, l’heure d’al-Maghrib, la première prière du soir.

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Les femmes, tout de noir vêtues « à la mode saoudienne », regagnent alors leurs foyers d’un pas pressé. Tandis que les akhdam (« serviteurs » en dialecte sanaani), combinaison orange, balai à la main, continuent leurs activités. Ces employés de la ville, pour la plupart d’origine somalienne ou éthiopienne, ont la lourde tâche de veiller à la propreté des rues de la médina, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1986.
Fondée par les Sabéens au IIe siècle après J.-C., à 2 350 mètres d’altitude, aux pieds des montagnes Djebel Nogoum et Djebel Ayban, Sanaa est considérée comme l’une des plus anciennes villes arabes. Les habitations s’élevant sur plusieurs étages, telles des ébauches de gratte-ciel, témoignent d’un savoir-faire architectural hors du commun. La vieille ville, labyrinthique, où il fait bon se perdre, renvoie au visiteur l’image d’une Arabie heureuse certes, mais mystérieuse aussi. La nuit tombée, l’odeur des épices envoûte ; les poignards (jambya), que les hommes portent fièrement à leur ceinture, fascinent. Rien dans la médina ne semble avoir changé. Seules les anciennes fortifications de la ville n’ont pas résisté à l’épreuve des siècles. Ou plutôt à la guerre civile de 1962, qui opposa républicains et royalistes. Reconstruits en 1990, avec l’aide financière de la France, les nouveaux remparts, trop propres, trop lisses, ceignent de manière artificielle la vieille ville. Comme s’il fallait à tout prix, aujourd’hui encore, se protéger de l’ennemi. Que craignent les Sanaanis ? De perdre à tout jamais les marques de leur grandeur passée ? De se laisser charmer par les sirènes de la modernité ou de la mondialisation ? Peut-être. À moins qu’il ne s’agisse d’un autre cliché.

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