Flirt à Tripoli

Leçon de Realpolitik du président français Nicolas Sarkozy : vingt-quatre heures après la libération des infirmières et du médecin bulgares, place au business !

Publié le 29 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

Il avait senti qu’il y avait un coup à jouer, comme un fox-terrier flaire le gibier et se lance sans hésiter à travers bois pour chasser sa proie. Vouloir régler définitivement l’affaire des infirmières et du médecin bulgares n’était pas un pari sans risque, mais Nicolas Sarkozy savait que, en cas de succès, il y aurait plus que de simples lauriers à récolter à Tripoli. Et le 25 juillet, lors du déplacement officiel du chef de l’État français dans la capitale libyenne – à peine un peu plus de vingt-quatre heures après le retour des Bulgares dans leur pays -, l’opération s’est déroulée sans accrocs. Pas moins de six accords ont été signés entre les deux pays : un partenariat « gagnant-gagnant » dont le « Guide » libyen a autant, sinon plus, la paternité que le chef de l’État français.
Si Sarkozy a su orner d’une cerise le gâteau des négociations sur la libération des infirmières, entamées depuis trois ans par d’autres Européens, c’est bien Mouammar Kadhafi qui, en effet, a jugé stratégiquement rentable de redonner à la France une place de choix dans la donne internationale libyenne. Les Américains, les Britanniques et les Italiens n’ont pas attendu la libération des infirmières pour réinvestir massivement en Libye, depuis que le « Guide » a annoncé l’abandon de son programme d’armement nucléaire, à la fin de 2003. La France, elle, reste toujours loin derrière dans la liste des partenaires commerciaux de la Grande Jamahiriya. Pour les projets français d’Union méditerranéenne (UM), il fallait absolument remédier à cette faiblesse, quitte à faire soudainement table rase du passé. « Il y a mille et une raisons pour expliquer la faiblesse de la France en Libye. Mais il y a aussi mille et une raisons pour passer à autre chose », explique un proche de Nicolas Sarkozy.
Le 25 juillet à 21 h 45, dans l’enceinte du Palais de Bab-Azizia, alors qu’il s’assied au côté de son hôte libyen pour partager un méchoui bien garni, face à la foule de ministres, de diplomates et de militaires, le président français semble parfaitement à son aise sous les flonflons de l’orchestre traditionnel. Éclairé par de puissants projecteurs, le bâtiment en ruines de l’ancien domicile de Kadhafi se dresse derrière les deux leaders, tel un décor hollywoodien en carton-pâte. Depuis qu’elle a été détruite par des bombardements de F-16 américains, le 15 avril 1986, la bâtisse en carrelage blanc et beige est devenue le symbole de la lutte du « Guide » contre l’impérialisme occidental, et, malgré sa récente métamorphose en homme fréquentable, ce dernier n’oublie jamais de la faire visiter à ses hôtes. Nicolas Sarkozy, comme Jacques Chirac en 2004, a donc signé l’imposant livre d’or qui trône au milieu des gravats. « Je suis heureux d’être dans votre pays pour parler de l’avenir », a-t-il rapidement griffonné au Bic bleu.

Un avenir qui s’annonce radieux au vu des longues discussions entre les deux dirigeants (ils sont restés au total plus de trois heures en tête à tête sous la tente verte et dorée du « Leader »), même si rien de précis n’avait été auparavant annoncé. Le mémorandum sur le nucléaire civil signé par les deux pays prévoit l’étude de la construction, en Libye, d’un réacteur nucléaire pour alimenter en énergie les usines de désalinisation d’eau de mer. Une commission de faisabilité française a déjà passé quelques jours sur le sol libyen trois semaines auparavant, laissant penser que l’effet d’annonce avait été soigneusement préparé – et la libération des infirmières dûment calculée.
Les poignées de main, nombreuses et chaleureuses, ainsi que les sourires échangés entre le nouveau chef de l’État français et le « Guide » libyen, les compliments de Sarkozy à l’égard de son nouveau partenaire – « Il avait l’air en forme et très au fait de ses dossiers », a déclaré Sarkozy -, témoignent de l’importance de la rencontre du 25 juillet, dans le droit sillage de la tournée maghrébine du président français deux semaines auparavant, et en perspective de sa visite au Maroc et en Algérie, d’ici à la fin de l’année.
Car c’est aussi largement de l’Union méditerranéenne et des relations entre l’Europe et l’Afrique (notamment sur les problèmes d’immigration) qu’il a été question. « Nous souhaitons que la France continue sa politique amicale à l’égard des pays arabes, a affirmé Ali Triki, ancien ambassadeur libyen à Paris et monsieur Afrique du Guide. Je suis très heureux que la coopération soit relancée. Nicolas Sarkozy veut pratiquer une politique réaliste. »

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Ainsi des autres accords – bien que leur contenu reste très flou – signés dans l’après-midi sur la coopération dans le domaine de la défense, de la recherche scientifique et de la santé. Ainsi également des discussions entamées sur la question de l’uranium, dont le sol libyen pourrait regorger – l’entreprise française Areva s’y intéresse de près, a avoué Sarkozy. Ainsi enfin des discussions sur les crises du Tchad et du Darfour, dans lesquelles, reconnaît le Quai d’Orsay, Kadhafi joue un rôle important. « L’Union européenne a accepté, le 23 juillet, notre projet de déploiement de forces de protection des populations à l’est du Tchad et dans le nord-est de la Centrafrique, a expliqué le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner. Aujourd’hui, Kadhafi n’y a pas fait obstacle. Nous pourrions commencer les opérations à la fin de la saison des pluies, début octobre. »
Forts de tous ces échanges, c’est avec satisfaction que les officiels français ont quitté, le 26 juillet au matin, le sol libyen. Peu importe si de nombreuses questions restent en suspens, comme par exemple celle de la forme exacte à donner au projet d’UM, Sarkozy souhaitant y faire entrer tous les pays du pourtour méditerranéen (Israël compris) tandis que Kadhafi prône une approche « 5 + 5 » (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Tunisie + Chypre, Espagne, France, Italie, Portugal). Comme celle aussi des cas de violation des droits de l’homme en Libye. « Il y a certes encore bien des combats à mener en la matière, a affirmé Nicolas Sarkozy. Est-ce que leur engagement est sincère et suffisant ? Peut-être pas. Mais, en tout cas, il va dans le bon sens. » Une politique « réaliste », en effet

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