Sur les pas de Dubaï

Fini les protections et les marchés garantis ! Les entreprises nationales sont désormais confrontées à une concurrence étrangère de plus en plus agressive. Une seule planche de salut : le tertiaire.

Publié le 29 mai 2005 Lecture : 4 minutes.

Versace, Marlboro, Ralph Lauren, Tommy Hilfiger… La jeune vendeuse d’origine indienne en tailleur bleu classique et chemisier blanc empile les chemises, polos et pantalons de son client européen sur le comptoir comptoir du magasin Cotton Club, à Triolet, sur l’île Maurice. Celui-ci a l’air très satisfait de s’offrir des tenues de grandes marques – même si certains de ces produits sont des contrefaçons – à petits prix. De quoi rentabiliser un peu plus son séjour après les plaisirs du soleil et de la mer.
Avec plus de 720 000 visiteurs étrangers par an et une industrie textile de plus en plus portée vers le haut de gamme, les magasins de vêtements se multiplient depuis une dizaine d’années. Un paradoxe, les manufactures du pays se portant plutôt mal. Le démantèlement des quotas internationaux sur les exportations textiles – intervenu le 1er janvier – a déjà coûté quelque 20 000 emplois, soit près d’un quart des effectifs du secteur, les produits mauriciens pâtissant de la concurrence des fripes asiatiques. Les industriels ont néanmoins réussi à sauver une partie de leurs usines sur le haut de gamme. Mais l’avenir des petites mains de l’île qui cousent et assemblent polos, chemises, pantalons et vestes est menacé.
Autre catégorie professionnelle en danger : les producteurs de canne à sucre. L’Union européenne a décidé une baisse importante du prix d’achat garanti (chute de 37 % entre 2005 et 2007) du sucre des producteurs des pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) pour se conformer aux exigences de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Résultat : les spécialistes s’attendent à une baisse des revenus liés à l’ensemble du secteur, qui emploie quelque 30 000 personnes et fournit encore 17 % des recettes de l’île.
Après trente ans de développement agricole et industriel, le pays vit donc une époque charnière : fini les protections et les marchés garantis, les entreprises nationales subissent déjà de plein fouet la concurrence des grands groupes industriels et des PME-PMI chinoises, indiennes ou brésiliennes. Conscientes que les opérateurs nationaux sont moins compétitifs dans les secteurs primaire et secondaire, les autorités voient le salut dans le tertiaire. « Nous nous inspirons du développement économique de Dubaï et de Singapour », indique Mahmood Cheeroo, secrétaire général de la Chambre de commerce et d’industrie de Maurice.
Malgré les protestations de nombreux citoyens, qui considèrent que le seuil de tolérance a été dépassé, les pouvoirs publics continuent de miser sur une hausse de la fréquentation touristique, un apport essentiel de devises. On préfère dorénavant les voyageurs qui louent une voiture avec chauffeur aux routards qui empruntent les mêmes bus que le « peuple ». L’État accorde de nouveaux permis de construction à des investisseurs occidentaux, mais aussi et surtout à un nombre grandissant d’opérateurs orientaux, qui bâtissent des hôtels de luxe dans le sud du pays, où l’offre est beaucoup moins développée. Ce qui a le don d’irriter une partie de la population, qui se plaint de la « privatisation » des plages.
Les autorités souhaitent également faire de Maurice une destination pour les affaires, les rencontres internationales, les soins de santé et les achats de produits détaxés. Le gouvernement du Premier ministre Paul Bérenger a aboli, en mars, les droits de douane sur plus de 1 850 produits qui étaient frappés d’une taxe de 80 % (habillement, meubles, matériel électronique, bijouterie…) « La duty-free island générera des investissements massifs et permettra de créer de nombreux emplois », estime le ministre des Finances, Pravind Jugnauth. D’autres produits seront détaxés dans les années à venir. Les autorités ont également instauré des incitations à la création de centres commerciaux et des facilités pour les investisseurs pour accéder à la propriété foncière. La réaction de l’opposition ne s’est pas fait attendre. « La duty-free island est une menace réelle pour les 55 000 employés des petites et moyennes entreprises nationales. Une île dédiée au shopping ne se fabrique pas qu’en baissant les taxes douanières sur des articles », a expliqué Navinchandra Ramgoolam, leader du Parti travailliste. Les sociétés mauriciennes sauront-elles résister à la concurrence des produits importés ?
L’activité bancaire offshore, en place depuis une dizaine d’années, continue d’afficher de très bons résultats, mais ce secteur est très peu porteur d’emplois. L’État compte beaucoup plus sur le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Symbole de cette mutation, la première technopole de l’île – la cybercité d’Ébène, construite grâce à l’appui d’investisseurs étrangers, principalement indiens – a ouvert à la mi-2004. E-marketing et e-commerce, centres d’appels, sociétés de développement de progiciels, saisie de données, transcription et comptabilité… la plupart des services modernes d’information y ont élu domicile, ce qui devrait représenter quelque 2 000 emplois d’ici à la fin 2005. Deux géants indiens, Infosys (développement Internet) et la multinationale Hinduja (finances et opérations commerciales délocalisées), se sont installés sur le complexe de la région de Rose Hill. Une antenne du prestigieux Indian Institute of Technology (IIT) pourrait les rejoindre. Reste à améliorer la « bande passante ». Ce qui ne saurait tarder, Telecom Plus, Mahanagar Telephone Nigam Ltd. (MTNL) et Network Plus ayant des projets de connexion haut débit dans leurs cartons.
Après avoir longtemps misé sur le développement agricole, les autorités doivent faire face à un épineux problème de déficit de main-d’oeuvre qualifiée. « Nous devons revoir nos programmes d’enseignement et de formation pour les axer sur le commerce, la finance moderne et les technologies de l’information,explique Mahmood Cheeroo. Nous avons de moins en moins besoin de main-d’oeuvre industrielle ou agricole et de plus en plus de téléopérateurs, de vendeurs, d’ingénieurs, d’informaticiens. » L’administration a déjà amorcé un changement dans les programmes d’enseignement, l’école est dorénavant obligatoire jusqu’à 16 ans, et un vaste projet de développement des universités a été mis sur pied. Cela risque de ne pas être suffisant à court terme et les autorités seront contraintes d’ouvrir les frontières à des travailleurs qualifiés étrangers. Une décision délicate à prendre alors que le chômage augmente de 0,5 % par an depuis une dizaine d’années et touche désormais plus de 65 000 personnes sur une population de 1,2 million d’habitants.

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