Abuja contre Lagos

Publié le 29 mai 2005 Lecture : 3 minutes.

Mon premier séjour au Nigeria a débuté à Abuja, capitale fédérale depuis 1991, bien différente des autres grandes villes africaines que je connais. Contrairement à Bamako et Ouagadougou, capitales de la poussière, Dakar complètement congestionnée ou Conakry l’anarchique, Abuja est une ville moderne aux rues propres et en bon état, avec de multiples feux de signalisation et de nombreux édifices en verre, à l’image de la Banque centrale ou des tours de la NNPC (Nigerian National Petroleum Corporation). Quoique inachevée, elle est organisée et il fait bon y vivre. Rien à voir avec Lagos, une vraie jungle dès la sortie de l’aéroport. À mesure que l’on roule dans la ville, le contraste est saisissant : routes défoncées, immeubles délabrés, « go slow » (expression nigériane pour désigner les embouteillages) à n’en plus finir, mendiants omniprésents et agressifs, et policiers invisibles… Welcome back in Africa ? Non, pas vraiment, car Lagos est une ville où l’indifférence est reine. Les vendeurs à la sauvette et les miséreux ne récoltent pas même un regard de compassion et les piétons risquent leur vie face aux voitures. Les automobilistes sont barricadés, vitres fermées, portières bloquées, de peur d’être agressés ou volés. À Lagos, c’est « chacun dans son chacun », et ma vision de cette mégalopole de plus de 13 millions d’âmes est celle d’une Afrique déshumanisée, bien différente de la chaleur et de l’hospitalité propres au continent. La ville est peut-être truffée d’endroits sympas et de gens intéressants à rencontrer, mais je ne les ai pas vus. Heureusement, Abuja n’est qu’à une heure d’avion, et le service à bord n’a rien à envier aux vols européens.

On dit d’Abuja qu’elle est la capitale de l’unité. Le Nigeria est depuis longtemps secoué de tensions politiques et religieuses, je me suis donc intéressé à la manière dont vivent les différentes communautés. Tous revendiquent, avec fierté, leur appartenance à la nation, mais chacun met en avant sa particularité ethnique au travers du dialecte ou de la tenue vestimentaire. Les Yoroubas portent souvent le Powershift, boubou trois pièces largement démocratisé par le président Obasanjo et dont le nom symbolise avec humour le passage de ce dernier du pouvoir militaire au civil. Sur la tête, le célèbre kete. Les Haoussas rivalisent d’élégance avec leurs grands boubous brodés et leur chapeau Sula Alhadji, que l’on retrouve dans de nombreux pays d’Afrique. Cela dit, le clivage religieux persiste et l’on désigne souvent les populations en tant que « Nordistes musulmans » (Haoussas, Peuls), ou Sudistes chrétiens (Yoroubas, Ibos). En lisant mon prénom sur ma carte de visite, mes interlocuteurs n’hésitent pas à me dire : « Oh, you are a muslim ! », avec une intonation différente en fonction de leur propre religion… Une sympathie s’installe aussitôt avec mes coreligionnaires, alors que les autres se demandent visiblement d’où vient ce Malien à l’accent anglais si français !

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Chaque Nigérian porte un titre, soit académique – ingénieur, docteur, professeur, afin de mettre en avant le niveau d’éducation -, soit filial – chef, sultan, prince. La chefferie traditionnelle a toute sa place, et il est important de montrer qui l’on est. Quant aux étrangers, ils doivent faire attention à ne pas heurter la susceptibilité de leurs hôtes. Les Nigérians sont très accueillants, même s’ils font tout pour vous en mettre plein la vue en étalant richesse, diplômes ou filiation royale afin que, de retour dans votre pays, vous deveniez leur « griot-ambassadeur ». Ils acceptent cependant avec résignation – et humour – toutes les critiques dont leur pays fait l’objet. La corruption ? « Il faut bien partager les ressources du pays, nous aussi on doit manger. Le tout, c’est de ne pas se faire attraper ! » Les escroqueries financières ? « Le Nigérian est ingénieux et trouvera toujours le moyen de tromper votre vigilance. »
La société nigériane est complexe, très ancrée dans ses traditions. C’est un pays à découvrir et il faut du temps pour bien le comprendre. Cela tombe bien car, au Nigeria, personne n’est pressé…

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