Renouvellement
Le long et passionnant marathon de l’élection présidentielle française est donc tout près de son épilogue, à peu de jours du verdict final. Au-delà des Français concernés par le scrutin, il aura jusqu’au bout intéressé une bonne partie des francophones, des Européens et beaucoup d’autres.
Jeune Afrique a fait de son mieux pour vous aider à en suivre les péripéties et à en comprendre les enjeux. Dans ce numéro, le dernier que vous lirez avant le scrutin décisif du second tour, nous consacrons une large place à l’événement (voir pp. 18-33).
Voici en préambule les observations et réflexions que m’inspirent le changement de présidence en France et ses conséquences.
1. Je maintiens pour ma part, à mes risques et périls, la prévision que j’ai publiée ici même (J.A. n° 2410 du 18 au 24 mars) : le 22 avril ou le 6 mai prochain au soir, ceux qui comme moi se situent à gauche et auraient bien aimé voir la France de 2007 porter à sa tête une femme de gauche, devront, je le crains, constater que c’est « partie remise ».
Mais l’observateur que je suis a pu constater que, précédée dans les intentions de vote par Nicolas Sarkozy et suivie par François Bayrou, la candidate socialiste, Ségolène Royal, a fait montre, tout au long des six dernières semaines, d’une pugnacité, d’une résilience et d’une habileté tactique étonnantes.
Qui l’ont qualifiée pour le sprint final avec un score très honorable, l’autorisent à espérer l’emporter au second tour du scrutin et, dans le cas contraire, en feront, après le 6 mai, le nouveau chef d’un Parti socialiste (recomposé et rénové) et de l’opposition
(de gauche).
2. Le 7 mai 2007 sera de toute manière le premier jour d’une ère nouvelle : celle de la France sans Chirac, lui-même dernier représentant d’une génération d’hommes publics au pouvoir pendant près de quarante ans (depuis que le général de Gaulle a quitté l’Élysée le 27 avril 1969, il y a tout juste trente-huit ans).
Il n’y a pas de vraie rupture avec le passé, pas de mouvement de rues comme en mai 1968, car la France est désormais une démocratie installée et relativement apaisée. Mais il y a un vrai changement d’époque :
Qu’il s’appelle Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal, le nouveau chef de l’État aura 52-53 ans ; il sera né après la guerre de 1939-1945 et aura quelque vingt-cinq ans de moins que Chirac ou, avant lui, Mitterrand.
Élu pour cinq ans, l’un ou l’autre voudra faire deux mandats (au moins) et disposera ainsi de dix ans, voire de quinze, pour imprimer sa marque.
L’un ou l’autre exercera le pouvoir avec des équipes renouvelées et aura à affronter, dès le mois de juin, des élections législatives appelées plus que jamais à transformer le rapport des forces politiques.
Attendez-vous donc à voir, dans les prochaines semaines, s’installer en France et se mettre au travail pas avant septembre ! de nouvelles équipes, animées par une autre dynamique.
Même si l’élu du 6 mai est Nicolas Sarkozy, il sera l’homme de cette « rupture » dont il a moins parlé ces derniers temps, mais qui demeure n’en doutez pas sa principale ligne directrice.
Cela dit, la France n’est pas le seul pays qui renouvellera ses dirigeants. S’il ne souffle pas sur le monde entier, ou pas avec la même force, le vent du changement se fait sentir sur la plupart des cinq continents.
Dès la fin de l’année dernière, scrutant l’avenir immédiat, Jacques Attali, l’auteur du best-seller Une brève histoire de l’avenir (Fayard), nous annonçait ce qui est en train de se produire en France et ajoutait : « Des élections législatives ou présidentielles se dérouleront en Belgique, en Suisse, en Turquie, en Russie, au Maroc, au Mali, au Sénégal, au Nigeria, en Israël, en Palestine, au Pakistan, au Bangladesh, en Inde, aux Philippines et en Argentine. Certaines menaceront de déraper en guerre civile, comme en Palestine ou au Bangladesh, ou de conduire à la dislocation de la nation, comme en Belgique ou au Nigeria. La Grande-Bretagne, les États-Unis et la Russie entreront en campagne électorale : Tony Blair laissera sa place à Gordon Brown ; les successions de Bush et de Poutine entreront en phase aiguë. Les puissants seront donc plus vulnérables que jamais. » (Voir p. 29 son vibrant éloge de la France post-chiraquienne.)
En vérité, le mouvement a commencé timidement en avril 2004, il y a trois ans, avec le départ de José María Aznar, remplacé à la tête de l’Espagne par un très jeune Premier ministre : José Luis Zapatero ; l’année suivante, succédant à Gerhard Schröder, une femme, Angela Merkel, est devenue la première chancelière d’Allemagne, puis, en Italie, ce fut au tour de Silvio Berlusconi de céder la place à Romano Prodi, avant que le Japon
ne se donne un nouveau Premier ministre, Shinzo Abe. Quatre changements et quatre réussites : chaque fois, le nouveau venu fait mieux que le déjà parti.
Dans les grands pays du Sud, si le Premier ministre de Turquie, Recep Tayyip Erdogan, a des chances de rester, Thabo Mbeki n’a plus la possibilité constitutionnelle de le faire et, en bon démocrate, se retirera au début de 2009 : la recherche de son successeur a
déjà commencé.
Les Nations unies ont depuis le début de cette année un nouveau secrétaire général, et la Commission de l’Union africaine aura dans quelques mois un nouveau président.
Il y a, bien sûr, des îlots de stabilité et même d’immobilisme en Afrique (au nord comme au sud du Sahara) et dans le monde arabe. Mais cela bouge en Amérique latine (où sept pays ont changé de dirigeant en 2006) et même en Asie.
Tout se passe donc comme si la mondialisation n’affectait pas seulement l’économie et les échanges, mais tout autant ou presque le politique et le social.
Je sais, bien sûr, que bénéficiant d’une superstabilité à la tête de l’entreprise Jeune Afrique depuis près d’un demi-siècle, je ne suis ni le mieux placé ni le plus qualifié pour prôner le changement et le rajeunissement à la tête des pays, des institutions et
des entreprises. Encourir le reproche justifié de vous dire qu’ils doivent « faire ce que je dis et non pas ce que je fais » ne m’est pas agréable, soyez-en sûrs.
Il n’en demeure pas moins vrai, à l’expérience, que renouveler périodiquement une direction et la rajeunir est toujours avantageux, et souvent nécessaire à une bonne gestion.
Les pays, les institutions, les entreprises qui ont pratiqué cette hygiène, comme le Maroc en ce moment, s’en sont bien trouvés. Ceux qui s’y sont refusés l’ont toujours regretté car les dirigeants qui restent trop longtemps au pouvoir finissent, en général, mal.
Pour en revenir au cas de la France, nous verrons que le changement du 6 mai 2007 lui fera beaucoup de bien : qu’il s’appelle Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal, que ce soit un président ou une présidente, celui ou celle qui le personnifiera et conduira le
changement en utilisant les hommes, les femmes et les recettes qu’il (ou qu’elle) aura choisis.
Mais il ou elle fera nécessairement mieux qu’un Jacques Chirac usé par trente-huit ans de conquête et d’exercice du pouvoir.
Et ce sera tant mieux pour la France, pour les Français et pour leurs partenaires.
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