Objectif législatives
Le scrutin du 17 mai ne devrait pas provoquer de surprises majeures. Il pose néanmoins une série de questions capitales.
Entre la menace d’attentats terroristes que fait planer al-Qaïda, les sempiternels soupçons de fraude et le désintérêt manifeste de la rue, on peut sans doute nourrir quelques inquiétudes quant au taux de participation aux prochaines élections législatives en Algérie. Quoi qu’il en soit, plus de 18 millions d’électeurs seront, le 17 mai, appelés à élire, au scrutin de liste à la proportionnelle, les 389 députés de l’Assemblée populaire nationale (APN). Près de 12 400 candidats représentant 24 partis, plusieurs listes « indépendantes » et pas moins de 19 ministres sont sur les rangs.
Les trois formations constituant l’Alliance présidentielle détenaient près des trois quarts des sièges (284) dans l’Assemblée élue en mai 2002. Il s’agit de deux partis nationalistes le Front de libération nationale (FLN), d’Abdelaziz Belkhadem, l’actuel chef du gouvernement, et le Rassemblement national démocratique (RND), de l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia ainsi qu’un parti islamiste « modéré », le Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas), dirigé par le ministre d’État Bouguerra Soltani. En dépit de la participation du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), le parti « démocrate » et laïc de Saïd Sadi, qui avait boycotté la précédente consultation (voir p. 55), le paysage politique ne devrait pas connaître de profonds
bouleversements à l’issue du scrutin du 17 mai. Pourtant, il est indiscutable que les Algériens aspirent au changement.
C’est qu’ils ne profitent guère de l’actuelle aisance financière de leur pays, conséquence de la flambée des cours des hydrocarbures, et restent confrontés à toute une série de fléaux qui empoisonnent leur vie quotidienne : crise du logement, problèmes de transport, chômage des jeunes, déficiences du réseau routier et des services de santé, corruption, insécurité routière La prochaine Assemblée se penchera-t-elle enfin sérieusement sur ces problèmes ? Réussira-t-elle à instaurer le débat contradictoire et démocratique qui fait tellement défaut depuis cinq ans ? La restauration de l’image des députés dans l’opinion est à ce prix. Reste une série de questions.
Al-Qaïda peut-elle influer sur l’issue du scrutin ?
Si les commanditaires des attentats-suicides du 11 avril contre le Palais du gouvernement et la direction régionale de la Police judiciaire, à Bab Ezzouar, voulaient
torpiller le processus électoral, ils ont échoué. Le premier moment de stupeur et de colère passé, l’Algérie a été le théâtre d’un grand mouvement de mobilisation populaire
avec l’organisation, le 17 avril, un mois jour pour jour avant le scrutin, d’imposantes marches de soutien à la politique de réconciliation nationale. Pour la première fois depuis le début de l’insurrection islamiste, ces manifestations ont eu lieu à travers tout le pays.
Le FLN conservera-t-il la majorité ?
L’ancien parti unique ne fait pas mystère de ses ambitions : obtenir au moins 199 sièges, autant que dans la précédente Assemblée. Redoutable machine de guerre électorale, il présentera des candidats 525, au total dans les 48 wilayas (départements) du pays. Ne risque-t-il pas de pâtir des contestations auxquelles l’établissement des listes électorales a donné lieu, à la base ? « Sûrement pas, estime Abdelaziz Belkhadem, son secrétaire général. La fronde a été délibérément amplifiée. Ceux qui prédisent notre affaiblissement en seront pour leurs frais. » Son programme ? Celui du président Abdelaziz Bouteflika, bien sûr : consolidation de la politique de
réconciliation nationale et poursuite des programmes de développement engagés depuis 1999.
Quel avenir pour Ouyahia ?
Au lendemain de son limogeage, en mai 2006, on ne donnait pas cher de l’avenir politique d’Ahmed Ouyahia. Mais l’ancien Premier ministre s’est employé à reprendre en main et à restructurer son parti, le RND, deuxième pôle du courant nationaliste, afin de préparer la prochaine échéance législative. Son objectif est évidemment de rester coûte que coûte la deuxième force politique du pays, à défaut de pouvoir redevenir la première (le RND disposait de la majorité absolue des sièges lors de l’avant-dernière législature, de 1997 à 2002). En a-t-il les moyens ? Ouyahia n’a pas attendu le début de la campagne
pour sillonner le pays en tous sens. Son principal handicap est d’avoir été chef du gouvernement au plus mauvais moment, quand le Fonds monétaire international imposa à l’Algérie un douloureux plan d’ajustement structurel (1995-1997). Mais il compense son impopularité par une réputation d’intégrité et de patriotisme à toute épreuve.
Où s’arrêteront les « Frères » ?
Le Mouvement de la société pour la paix (MSP), que dirige Bouguerra Soltani, est la troisième composante de l’Alliance présidentielle. Historiquement lié aux Frères musulmans, le mouvement islamiste transnational né en Égypte en 1928, il se distingue des autres formations islamistes par une politique d’« entrisme » qui lui permet d’être représenté au gouvernement par quatre ministres. Disposant actuellement de 38 députés, il rêve de conquérir un tiers des sièges dans la future APN. Principal axe de sa campagne électorale : la lutte contre la corruption. Mais son chef se montre parfois bien
maladroit. Au début de l’année, lors d’un meeting, il a affirmé détenir « des dossiers impliquant de nombreux hauts responsables », ce qui lui a valu de se faire reprendre de volée par Bouteflika en personne : « Tout citoyen, quel que soit son rang, est tenu de transmettre à la justice tout élément susceptible de l’intéresser. Faute de quoi il sera lui-même poursuivi pour non-dénonciation d’actes délictuels ou criminels. » En outre, sa comparution comme témoin lors du procès Khalifa, au mois de mars, a contribué à le fragiliser.
Le MSP est partisan d’un islamisme beaucoup plus « soft » que celui de l’ex-Front islamique du salut. « Nous sommes des républicains et des démocrates, jure Abderezzak Mokri, chef du groupe parlementaire et numéro deux du parti. Nous n’utilisons pas la religion, nous travaillons à la promotion de ses valeurs. » En l’absence des amis d’Abdallah Djaballah (voir ci-après), mais aussi des dirigeants de l’ex-FIS et des seigneurs de la guerre plus ou moins repentis, les uns et les autres interdits d’activité
politique et donc inéligibles, le MSP devrait séduire sans trop de difficulté une partie importante de l’électorat islamiste.
Et les « démocrates » ?
Singularité algérienne, l’APN compte actuellement 21 députés d’obédience trotskiste, tous membres du Parti des travailleurs (PT), que préside Louisa Hanoune. Le charisme de cette dernière, qui fut la première femme à briguer la magistrature suprême dans un pays arabe (en 2004), y est sans nul doute pour beaucoup. Mais la constitution, pour ces législatives, d’un pôle « démocrate » conduit par l’Alliance nationale pour la République (ANR), que dirige l’ancien Premier ministre Réda Malek, pourrait lui faire de l’ombre.
Les absents auront-ils tort ?
Fidèle à ses habitudes, le plus vieux parti d’opposition, le Front des forces socialistes (FFS), d’Hocine Aït Ahmed, a décidé de boycotter les législatives du 17 mai. Dommage, sans doute, car cette formation compte dans ses rangs nombre de talents qui pourraient être mieux utilisés.
Autre absent de marque : Abdallah Djaballah. Grande figure de l’islamisme algérien, le patron d’el-Islah est contesté par une partie de sa base et n’a pu tenir à temps le
congrès de son parti ce qui contrevient à la réglementation en vigueur. Djaballah a demandé au ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, une dérogation, qui lui a été refusée. Il a donc appelé à boycotter le scrutin.
À quoi sert la Cnisel ?
Pour éviter le renouvellement des grossières irrégularités qui ont marqué les législatives de 1997, Bouteflika a mis en place une Commission nationale indépendante
pour la surveillance des élections (Cnisel) composée de magistrats et de représentants de toutes les formations participant au scrutin. C’est le juriste Saïd Bouchaïr, 60 ans, ancien président du Conseil constitutionnel, qui en assure la direction. La Cnisel est chargée de veiller à la régularité du scrutin, à l’impartialité de l’administration et à la juste répartition des temps d’antenne dans les médias audiovisuels. Réputé pour son intégrité, Bouchaïr a déjà supervisé le scrutin présidentiel d’avril 2004. Il a par ailleurs dirigé plusieurs missions électorales en Afrique.
Comment redorer l’image de l’APN ?
Un récent sondage paru sur le site Internet du quotidien arabophone El Khabar illustre la désaffection des Algériens à l’égard de leurs députés : plus de 90 % des personnes
interrogées affirment ne pas leur faire confiance. Il est vrai que bilan de la législature est relativement médiocre. Quelques lois importantes ont certes été adoptées
code civil, code de la famille, code de la nationalité), mais les grandes décisions sont souvent prises sous forme d’ordonnance présidentielle. Bref, l’APN apparaît comme une simple chambre d’enregistrement, une Assemblée de « béni-oui-oui ». « Le contrat de confiance entre le citoyen et son député se fissure dès le soir de l’élection », commente un ancien parlementaire. Il est vrai que les élus, qui ne tiennent que rarement
des permanences dans leurs circonscriptions, ont peu de contacts avec leurs administrés. Résultat : lorsque les citoyens protestent contre une pénurie d’eau courante, le mauvais
état des routes ou l’absence de transports en commun, ils ont tendance à prendre possession de la rue. Quand ils ne mettent pas à sac des édifices publics !
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