Nebahat contre Nebahat
La réalité dépasse parfois la fiction, disait Jean Cocteau. (En fait, je ne sais absolument pas qui a prononcé le premier cette phrase. Mais je vous donne un bon truc : si vous ne savez pas d’où vient une citation, attribuez-la à Cocteau. D’abord, il n’est pas là pour protester. Ensuite, il a dit tant de choses qu’il y a une petite chance que vous ayez quand même raison.)
Bref, la réalité, la fiction, etc. Jugez de cette anecdote absolument authentique et dites-moi si elle n’a pas l’air de sortir du cerveau enfiévré d’un écrivain. Un citoyen turc présente la semaine dernière une demande d’immigration aux Pays-Bas pour l’excellente raison que sa rosissante fiancée, elle-même turque, réside au pays des tulipes. La demande atterrit sur le bureau de la secrétaire d’État hollandaise qui s’occupe de ces affaires-là.
Et alors ? me dites-vous.
Alors, petits blasés, petites boudeuses qui ont tout vu, figurez-vous que la toute gracieuse fiancée turque et la secrétaire d’État hollandaise sont une seule et même personne ! Hein ? Y a de quoi fiche au feu tous les romans, quand la vie nous ficelle des scénarios pareils, non ?
Madame Nebahat Albayrak, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, sous-ministre de la reine Beatrix, se penche donc sur le dossier de l’impétrant, qui se trouve être son Jules. Vous feriez quoi, à sa place ? Attention ! Il faut être objectif ! Pas de favoritisme ! On imagine Nebahat, l’oeil sévère, scrutant attentivement le visage du bonhomme :
Hmmm Non, objectivement, il a une sale tête, je lui refuse le visa.
Pour s’effondrer le soir même au téléphone, Ankara à l’autre bout du fil :
Mon chéri, cette bitch de ministresse te refuse l’entrée en Hollande !
Y a de quoi devenir schizo, non ? Ça me rappelle une parabole, dans la Bible ou le Coran, je ne sais plus, sur la main droite qui doit ignorer ce que la main gauche fait (ou est-ce le contraire ?). En tout cas, avec un tel pitch, un réalisateur hollywoodien pourrait nous concocter des scènes d’anthologie. Nebahat Albayrak la citoyenne attaquant Albayrak Nebahat la ministre en justice ! Les deux (?) se crêpant le chignon au tribunal, devant les caméras accourues du monde entier pour rendre compte de cet unicum judiciaire. L’une traitant l’autre de raciste, l’autre répondant, indignée :
Moi, raciste ? Mais je suis turque ! Et d’abord, je suis toi !
Allez, on arrête là, pour éviter l’infarctus des méninges. Dans la réalité, madame la secrétaire d’État a sagement transmis le dossier de son futur époux à l’un de ses collègues du gouvernement, Hirsch Ballin, qui le traitera à sa place. Il a fallu pour cela une dérogation spéciale. On attend avec trépidation l’issue que l’ami Ballin donnera
à la demande d’immigration du coquin de Nebahat.
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