Attention au mot de trop !

Publié le 29 avril 2007 Lecture : 4 minutes.

Voix charmeuse et oeil câlin, Nicolas Sarkozy ne se doutait pas qu’en déclarant, bien avant la désignation de Ségolène Royal, qu’il préférerait « évidemment » l’avoir en face de lui dans le duel télévisé du second tour « plutôt qu’Henri Emmanuelli », l’événement
lui donnerait raison. Pour le charme de la rencontre, le résultat est moins sûr. La politique ne fait pas de sentiment, et les politiciens, quand il s’agit de gagner, ne se
font pas de cadeaux.
Pour lequel des deux finalistes l’épreuve s’annoncet–elle le plus difficile ? Dans cette élection de toutes les nouveautés, ce sera la première fois qu’un homme affrontera
une femme, projet contre projet, mais aussi visage contre visage. Et de surcroît la plus féminine des femmes politiques, sûre de ses pouvoirs de séduction plus efficaces en effet qu’on ne saurait les trouver par exemple chez la chancelière allemande Angela Merkel, voire chez Hillary Clinton en particulier un sourire qui irradie soudain son visage d’une aura à la Kennedy.
Aussitôt, les politologues nuancent : cet avantage de forme peut être un handicap s’il souligne par contraste des insuffisances de fond. Mais on a vu lors des nouvelles
émissions médiatiques, notamment la grande première de « J’ai une question à vous poser », que Ségolène Royal avait ni plus ni moins que Nicolas Sarkozy réponse à tout sur les problèmes les plus divers où elle a brillamment exploité son expérience gestionnaire de trois ministères et de cinq années de présidence régionale.

Nicolas Sarkozy a néanmoins reçu le conseil d’essayer de la mettre en difficulté sur quelques dossiers pointus où ses propres compétences apparaîtraient supérieures. Avec
cette mise en garde générale : attaquer sans agresser, et surtout sans s’énerver. C’est en effet le risque de ces duels face au pays dont l’importance de l’enjeu et l’intensité du spectacle fascinent pour un soir la moitié des Français : la crainte de la bavure verbale irrattrapable, du mot de trop qui risque de tuer. On se rappelle la double erreur
de Laurent Fabius face à Jacques Chirac en octobre 1985. Sous-estimant la fatigue d’un retour de Polynésie et de ses onze heures de décalage horaire, dopé peut-être par
quelques remontants, il n’arrêtait pas de couper la parole à son rival qui finit par se fâcher : « Vous êtes là comme un petit roquet » Alors, Fabius, se drapant dans sa dignité, lui lança théâtralement : « Vous oubliez que vous parlez au Premier ministre de la France ! » Le lendemain, la presse dans son ensemble le donnait plutôt perdant.
À l’inverse, une heureuse inspiration peut décider de la balle de match. L’exemple le plus frappant est celui de la formule de Valéry Giscard d’Estaing face à François
Mitterrand en 1974 : « Vous n’avez pas le monopole du coeur. » Sept ans plus tard, dans les mêmes circonstances, le candidat du PS, accusé d’être « un homme du passé », prenait sa revanche avec un cinglant : « Et vous, l’homme du passif. » Puis remportait la belle de 1988 en affectant de rabaisser son challengeur de l’heure, Jacques Chirac, par l’appellation répétitive de « Monsieur le Premier ministre ».
Giscard d’Estaing assure que son « monopole du coeur » était une réaction tout à fait spontanée aux litanies mitterrandiennes sur les difficultés des Français. « François Mitterrand en est resté estomaqué, et les téléspectateurs m’ont approuvé dans leur for intérieur. » François Mitterrand devait en convenir par la suite : « Les 300 000 voix que vous avez gagnées à ce moment-là, vous les avez gardées jusqu’à la fin. » Et donc
jusqu’à la victoire remportée par moins de 150 000 voix.

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Toute la semaine dernière, les conseillers techniques ont préparé des notes pour leurs
champions respectifs où ils ont essayé de prévoir une multitude de questions-traquenards,
tandis que les conseillers en communication se remémoraient les points marqués ou perdus par leurs prédécesseurs, tous débatteurs chevronnés, et pourtant tous angoissés par les
redoutables incertitudes de l’épreuve. On se souvient du granitique Philippe Séguin inhibé et intimidé pourtant face à Mitterrand lors du débat à la Sorbonne sur le référendum de Maastricht. Ou du même Mitterrand tombant dans le piège d’un Raymond Barre faussement débonnaire qui renonçait à l’égalité des temps de parole pour mieux le laisser patauger sur les dossiers ingrats de la réforme monétaire internationale. La tactique est devenue un cas d’école pour ses successeurs et pour Mitterrand lui-même
lorsque Chirac tenta de lui refaire le coup de Barre : « N’essayez pas de jouer avec moi les maîtres d’école. »
Le journaliste Michel Bassi, qui créa l’émission « À armes égales » avec Pierre Desgraupes, présume que Ségolène Royal cherchera par tous moyens à provoquer Nicolas Sarkozy pour le pousser à la faute. Le candidat UMP s’y attend sans doute, qui a déjà promis de « respecter » son adversaire comme s’il voulait se prémunir lui-même, connaissant ses sautes d’humeur, contre des dérapages incontrôlés. Ségolène Royal n’a pas manqué elle non plus de recommandations de prudence. Il est significatif que les deux rivaux aient aussitôt accepté la date proposée du mercredi 2 mai pour leur duel. À trois jours du verdict des Français, elle leur laisse, à l’un comme à l’autre, un répit
suffisant pour exploiter le succès de leur affrontement, ou en corriger d’éventuels malencontreux effets.

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