A chacun sa victoire

Chances respectives des deux finalistes, vote centriste, avenir du Parti socialiste Le politologue Jean-Luc Parodi tire les enseignements du premier tour.

Publié le 29 avril 2007 Lecture : 6 minutes.

Jeune Afrique : La gauche essaie de faire du second tour de l’élection présidentielle
une sorte de référendum anti-Sarkozy. Celui-ci at-il une avance suffisante pour résister ?
Jean-Luc Parodi : Indépendamment même des sondages, au vu du rapport des forces électorales du premier tour, et compte tenu d’une participation si élevée qu’il n’y a plus tellement de réserves parmi les abstentionnistes, oui, Nicolas Sarkozy part favori avec un avantage très net.
Comment jugez-vous la performance de Ségolène Royal, que certains relativisent en rappelant qu’elle bénéficiait cette fois-ci des voix de Jean-Pierre Chevènement et de Christiane Taubira ?
D’une certaine manière pour Ségolène Royal, c’est une victoire insuffisante. Une vraie victoire parce qu’elle a fait mieux que le Lionel Jospin de 1995 (23 %), nettement mieux que le Lionel Jospin de 2002 (16 %) et même en tenant compte des voix de Christiane
Taubira et de Jean-Pierre Chevènement, elle gagne trois points. Ensuite, parce qu’elle devait affronter la concurrence d’un candidat centriste à un niveau inégalé. C’est une victoire cependant insuffisante parce que la gauche totalise 37 %. Elle peut espérer les porter à 42 % avec ses électeurs habituels qui ont préféré François Bayrou au premier tour. Il faudrait beaucoup plus à Ségolène Royal pour atteindre la base de 50 %.
Nicolas Sarkozy dispose-t-il de plus de réserves ?
Pour Sarkozy, c’est une victoire prometteuse. Il réalise un des meilleurs scores atteints depuis longtemps par la droite modérée. Il assèche complètement le Front national, dont il peut espérer recueillir 80 % des suffrages au second tour. Si on ajoute les électeurs de la droite modérée, qui ont choisi François Bayrou sans grande intensité de conviction, ses réserves de voix lui donnent un large avantage.
N’est-il pas paradoxal qu’après une campagne très sévère sur l’action ou l’inaction des gouvernements précédents, après le « non » largement majoritaire au référendum européen,
une participation exceptionnelle place finalement en tête trois représentants des anciens
pouvoirs et trois champions du « oui » à l’Europe élargie ?
On peut liquider à mon avis le référendum. Les électeurs ont tourné la page, à condition évidemment de ne pas leur proposer de revoter le même texte, ce qui serait absurde et scandaleux. Quant à la préférence donnée à trois représentants des gouvernements passés, elle révèle quelque chose de très intéressant. Nous sommes exactement à l’opposé de 2002 : il est de plus en plus clair avec le recul que 2002 était une élection de sortie de cohabitation, avec un président sortant de droite contre un Premier ministre sortant de gauche. C’était une élection du passé. Cette fois-ci, au contraire, l’élection est
caractérisée par le renouveau de deux candidats qui n’ont jamais exercé de fonctions au niveau supérieur du pouvoir, jamais été candidats à l’élection présidentielle ; et d’un troisième dont le score a été si faible lors de la présidentielle précédente qu’il apparaît comme neuf.
L’élection de 2007 est donc tournée vers l’avenir. La formule « désir d’avenir » de Ségolène Royal exprime à sa façon l’une des deux dimensions fondamentales pour en comprendre tout l’enjeu. C’est une élection marquée par un regard critique sur le système, sur ses dirigeants, sur ses bilans, et en même temps par une envie d’espérer qui s’est manifestée tout au long de la campagne dans le succès des émissions, la hausse des ventes de la presse, la multiplication des blogs et dernier indicateur significatif les conversations des citoyens où jamais un événement politique n’avait occupé une telle place.
Quel bilan faites-vous de la performance de François Bayrou qui a multiplié par trois
son score de 2002, mais n’a pas réussi à briser le clivage gauche-droite qui était la cible de sa campagne et risque même de le renforcer, projet contre projet ?
Après la victoire prometteuse de Nicolas Sarkozy et la victoire insuffisante de Ségolène Royal, c’est la victoire inutile de François Bayrou. Il faut tirer un coup de chapeau devant la performance d’un candidat qui a fait progresser ses voix de 7 % à 18 %. Dès lors cependant qu’il ne s’est pas qualifié malgré de folles espérances, il se retrouve dans une situation quasi impossible, parce qu’il n’a rien à négocier.
Aucun candidat n’est maître de ses électeurs c’est particulièrement vrai de l’électorat centriste et plus encore de celui de François Bayrou. Celui-ci a construit sur le sable en empilant des électeurs venus de la gauche qui ne désiraient pas trop Royal et d’autres venus de la droite modérée qui trouvaient le candidat UMP un peu trop
à droite. Pour le second tour, déjà, l’ouvrage se délite. Les transfuges provisoires, de la gauche comme de la droite, retourneront sans problème à leur pesanteur traditionnelle. On revient aux réalités. Les élus actuels de l’UDF députés, conseillers régionaux, conseillers généraux et maires sont tous élus, selon des dépendances diverses, grâce à des alliances de droite. Dès le lendemain du premier tour, on en a vu plusieurs se montrer ostensiblement aux côtés de Nicolas Sarkozy et ce n’est probablement pas fini. Je ne vois, pour suivre François Bayrou jusqu’au bout, que les militants très centristes et peut-être une fraction de nouveaux électeurs qui ont été sensibles à son discours et n’ont pas de famille d’origine à rejoindre.
Le phénomène Bayrou peut-il du moins provoquer ou favoriser une évolution du Parti socialiste vers la démocratie sociale à l’européenne ?
La France est dans un système étrange, unique au monde, où, pour exercer le pouvoir exécutif, il faut gagner deux élections et quatre tours de scrutin indissociablement liés. Après la séquence du second tour de la présidentielle, nous aurons des législatives
de confirmation, car le président pourra dire avec une forte logique : « Vous m’avez élu pour le programme que je vous ai proposé, donnez-moi les moyens de l’appliquer. » Il en
résultera une majorité pour le nouveau chef de l’État et une surdémobilisation du camp
vaincu. C’est alors que la gauche devra tirer les leçons de la défaite. La bataille à
l’intérieur du Parti socialiste sera rude. Tout d’abord, on ne sait pas très bien ce que
va devenir Ségolène Royal dans cet après-second tour. Le PS va très certainement
s’interroger sur les raisons pour lesquelles le score de l’ensemble de la gauche, malgré
le succès personnel de sa candidate, a été si faible au premier tour. La question de la place de la gauche et du centre-gauche sur l’échiquier politique à l’avenir va être très importante. On ne sait pas si le prochain congrès socialiste aura lieu dans la foulée de la présidentielle ou s’il sera renvoyé après les municipales, où la gauche, avec peut-être déjà une première désillusion de l’opinion à l’égard du pouvoir sarkozien, pourrait
espérer alors de meilleurs résultats.
Assiste-t-on à la disparition programmée du Parti communiste ?
On le dit à chaque élection depuis vingt ans. C’est toujours vrai, c’est de plus en plus vrai, quoique, après tout, les 2 % de 2007 ne sont pas tellement pires que les 3 % de 2002. Par ailleurs, le PS aura toujours besoin de tenir hors de l’eau la tête d’un certain nombre de leaders communistes locaux. Cela dit, chaque coup supplémentaire encaissé par le PC achève son histoire.
Ségolène Royal voulait « promouvoir le temps des femmes ». Est-ce la fin de cet espoir s’il est vrai qu’une majorité de l’électorat féminin ne l’a pas suivie ?
Je ne le crois pas du tout. Ségolène Royal a obtenu un point de plus chez les femmes que chez les hommes. Nicolas Sarkozy aussi. Donc pas de conclusion négative. Peut-être un léger surplus pour Ségolène Royal chez les jeunes femmes et un manque à gagner net mais c’est habituel chez les femmes âgées. Pour l’essentiel, il n’y a pas eu de vote sexué dans cette élection. Ce qui est plutôt bon pour les femmes et laisse une chance entière pour l’avenir à une autre candidate.

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