Yamina Benguigui
Cinéaste franco-algérienne
Réalisatrice et productrice française d’origine algérienne, elle se présente elle-même comme la « première femme cinéaste issue de l’immigration ». Yamina Benguigui, 49 ans, travaille actuellement sur une trilogie qui traite des difficultés que rencontrent les diplômés d’origine étrangère à décrocher un emploi. Entretien à l’occasion de la sortie, le 11 janvier, en France, des deux premiers volets (Le Plafond de verre, Les Défricheurs) de ce documentaire.
Jeune Afrique/L’Intelligent : Votre film sort quelques semaines seulement après les émeutes dans les banlieues françaises.
Yamina Benguigui : J’étais consciente de tout ce qui couvait dans les banlieues. Certes, je ne m’attendais pas à l’ampleur de ces émeutes Quand on fait ce genre de films, on est réellement sur le terrain. J’ai rencontré des familles, j’ai pu prendre la mesure des problèmes des jeunes et surtout de quelque chose d’invisible : les préjugés raciaux qui vous nient en tant que personne et contre lesquels vous ne pouvez pas lutter. Au moins ce film permettra-t-il à certains de comprendre ce qui s’est passé et de se demander pourquoi « Mohamed, le copain de mon fils, qui a fait les mêmes études que lui, est resté sur le carreau ». Et aux autres de se dire « enfin, on va comprendre ce que j’endure ». Finalement, ce film s’adresse à la fois aux Français de souche et à ceux qui sont issus de l’immigration, et permet de sortir du discours type « ce sont tous des délinquants, il n’y a que de la racaille ».
Ceux que vous avez filmés ne sont pas des émeutiers.
Non. Ce sont leurs jeunes frères qui étaient dans la rue et qui prenaient en exemple leurs aînés. L’un des protagonistes de mon film m’a confié que le pire, c’était de revenir dans le quartier sans rien avoir réussi. Ils ne sont même pas chômeurs puisqu’il faut avoir travaillé pour prétendre à ce statut. Ils ont l’impression d’être bons à rien. Comment expliquer à ses proches qu’on est resté un an et demi sans décrocher le moindre entretien ? Vis-à-vis des plus jeunes, ils sont parfaitement conscients d’être devenus des contre-modèles.
Vous-même, comment avez-vous réussi à dépasser le « plafond de verre » ?
J’appartiens à la catégorie « artistes », et être réalisatrice c’est en quelque sorte diriger sa propre entreprise. J’ai débuté avec Rachid Bouchareb en créant Bandit Productions. On ne comptait que sur nos propres projets parce que nous n’avions pas de réseau. Et sans réseau, vous n’entrez nulle part. Même si le réseau est une forme de communautarisme, on est presque toujours obligé d’y recourir. Par ailleurs, il est plus facile de réussir dans le domaine culturel, car il y a moins de frontières et de conformisme que dans le monde de l’entreprise. La grande majorité de mes collaborateurs est issue de l’immigration. Mon assistant est ingénieur en aéronautique. D’origine camerounaise, il n’a jamais pu décrocher d’entretien et a dû changer de voie.
Comment lutter contre la discrimination ?
Il faut créer un réseau. Au sein de Bandit, deux personnes s’occupent précisément de la mise en réseau. D’autres pays comme la Grande-Bretagne ou le Canada ont légiféré sur la question de la discrimination à l’embauche. La France accuse quelques décennies de retard, car elle n’a toujours pas digéré son histoire coloniale. Personnellement, je suis pour l’instauration du CV anonyme. On ne va pas attendre le changement des mentalités ! Einstein disait qu’il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé.
Après notamment Mémoires d’immigrés (1997), Inch’Allah Dimanche (2001) et, aujourd’hui, Le Plafond de verre, ne craignez-vous pas d’être étiquetée « madame Immigration » ?
Woody Allen a pu réaliser 65 films sur Manhattan et, à chaque fois, il a réussi à raconter quelque chose de différent. En ce qui me concerne, au-delà de la question de l’immigration, je parle aussi de la société française et de ses mutations. Ce terrain est vaste j’aimerais continuer à l’explorer.
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