Un monde nouveau
Depuis des années, nos médias écrits et audiovisuels nous disent jour après jour que la Chine se développe à grande vitesse, multiplie les prouesses économiques et financières les plus époustouflantes. Alors, venant de ce pays de près de 1,5 milliard d’habitants, et que Deng Xiaoping a engagé, en 1979, dans la voie de la modernité, rien ne nous étonne plus vraiment.
Et pourtant, ce que nous apprenons cette semaine sur l’évolution de son économie, et qui corrige ce qu’on croyait savoir, est tout simplement sidérant.
Avec beaucoup de sobriété, le Financial Times (de Londres) décrit ce qu’il appelle, à juste titre, « les nouvelles dimensions de la Chine ».
« L’an dernier, le gouvernement chinois a mobilisé 10 millions de collecteurs de données pour rassembler des informations sur des secteurs jusqu’ici restés dans l’ombre de l’économie réelle, notamment de petites entreprises privées telles que des ateliers, des salons de coiffure et des bars de karaoké qui se sont multipliés depuis vingt-cinq ans.
Et en décembre, il a communiqué les résultats : le Produit intérieur brut (PIB) 2004 de la Chine était en réalité de 17 % – 278 milliards de dollars ! – supérieur aux chiffres donnés précédemment, car on n’avait pas jusque-là pris en compte des activités de service dans des secteurs comme les loisirs et les ordinateurs.
Cette révision n’a pas surpris les économistes, mais elle nous apprend que la Chine pèse plus lourd encore qu’on ne pensait : la partie du PIB chinois que l’on vient de découvrir équivaut à la totalité de l’économie de l’Indonésie et à 40 % de celle de l’Inde !
Dans un rapport intitulé « China : bigger and better » (« La Chine : plus et mieux »), la banque d’investissement Lehman Brothers conclut : « Selon nos estimations, les révisions du PIB signifient que la taille de l’économie chinoise a dépassé celle de l’Italie, de la France et du Royaume-Uni, pour la situer au quatrième rang mondial. »
Les analystes de Lehman estiment que l’économie chinoise pourrait dépasser celle de l’Allemagne en 2010, celle du Japon en 2020, et être la première du monde en 2040. »
En 1990, la Chine avait un PIB de 355 milliards de dollars, ce qui la plaçait derrière le Brésil et l’Espagne. Elle a donc multiplié son PIB par plus de cinq en quinze ans et se place bien, désormais, devant le Royaume-Uni, la France et l’Italie : à la quatrième place mondiale.
Selon tous les observateurs, et pas seulement les analystes de la banque Lehman, dans quatre ans, la Chine aura dépassé l’Allemagne pour devenir la troisième économie mondiale, derrière les États-Unis et le Japon (voir tableau).
Depuis 1979, son revenu par tête aura doublé tous les dix ans, alors que les États-Unis et le Royaume-Uni, les deux puissances dominantes des XIXe et XXe siècles, n’ont pu doubler le leur que tous les cinquante ans.
Cette évolution fulgurante n’a pas de conséquences directes sur la Chine seulement. C’est un événement mondial qui déplace le centre de gravité économique de la planète.
Lorsque, en 2009 et 2010, c’est-à-dire demain, la Chine aura rattrapé puis dépassé l’Allemagne pour devenir la troisième puissance économique du monde, c’est l’Europe tout entière qui aura été, d’une certaine manière, déclassée, puisque reléguée derrière l’Asie (Japon plus Chine) et l’Amérique (États-Unis)*.
Déjà, aujourd’hui, en héritage d’un passé glorieux, des pays européens occupent dans les grandes institutions économiques mondiales une place et exercent un pouvoir qui ne sont plus conformes à leur poids économique :
– Quatre pays membres du G8, club des pays les plus riches – un sur deux, donc -, sont européens. Il en va de même de l’OCDE, autre club composé principalement de pays riches : les deux tiers de ses membres sont européens.
– 30 % des sièges des directoires du FMI et de la Banque mondiale, et plus de 30 % des droits de vote de ces institutions, sont détenus par des pays européens, ce qui leur donne près du double du poids des États-Unis.
– L’Italie, la Belgique et les Pays-Bas ont tous les trois plus de pouvoir de vote chez les « jumeaux » de Bretton Woods que le Brésil, la Chine ou l’Inde.
– Sur les plans politique et militaire, même déséquilibre : sur les cinq grandes puissances nucléaires et disposant du droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, trois sont européennes.
Cet héritage de l’immédiat après-guerre sera de moins en moins justifié et devra être révisé.
L’irruption de la Chine et celle, demain, de l’Inde, du Brésil, de l’Afrique du Sud, nous annoncent une configuration nouvelle du monde.
Il faut le savoir – et s’y préparer.
*Certes, ses 25 pays auront un PIB supérieur à celui des États-Unis (et, bien sûr, de l’Asie). Mais le pays européen le plus puissant économiquement, l’Allemagne, sera quatrième mondial, après avoir été deuxième puis troisième
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