Quand l’enjeu tue le jeu

Publié le 29 janvier 2006 Lecture : 2 minutes.

Editorialiste sportif du quotidien cairote Al-Ahram, Hassan al-Mistakawi est le digne successeur de son père, Naguib, l’une des plus prestigieuses plumes égyptiennes du ballon rond quarante ans durant. Le lendemain du match Égypte-Maroc (0-0), Mistakawi écrit : « L’Égypte et le Maroc ne se sont pas départagés à l’issue d’un match tout en duels et en longues courses, exempt de beau jeu. L’un des secrets du foot est peut-être de livrer bataille, mais alors, fini la beauté et le spectacle, surtout quand les buteurs sont incapables de trouver le chemin des filets. Vous assistez, éberlué, à un combat acharné et repartez du stade empli d’amertume. » Dans l’unanimisme, confinant parfois au chauvinisme, qui déferle sur la XXVe CAN depuis le 20 janvier, le constat de Mistakawi fait exception. Un constat ô combien justifié !
Les premières journées de la CAN l’ont démontré : les joueurs africains ont adopté la mode du tout-physique au détriment de la créativité, du génie et de la technique. On empêche l’autre de jouer plus qu’on ne cherche à jouer. Le culte du résultat a « tué » l’émotion et l’esthétique de la belle action collective, tressée en passes courtes, ponctuée de dribbles ou de « une-deux » soudains dans une forêt de jambes La victoire à tout prix, quitte à sacrifier le spectacle, est devenue le seul objectif, même pour les supporteurs. Le « jeu » actuel se réduit à une succession de longues ouvertures qui n’arrivent pas à destination dans 80 % des cas. Les centres en retrait sont rares, faute d’ailiers de débordement. Et l’on s’endort devant le grand nombre de centres aléatoires, les « centres bananes », délivrés au petit bonheur la chance. Quant aux tirs, un sur dix est vraiment dangereux.
Camerounais, Égyptiens, Ivoiriens, Marocains, Angolais, Ghanéens, Nigérians, Sénégalais et Tunisiens, tous ont opté pour le contre : reculer, freiner, récupérer le ballon, et partir en contre-attaque avec un minimum de joueurs mais un maximum de vitesse. De la hargne, un gros labeur et beaucoup de sueur. À ce jeu-là, les troupes d’Artur Jorge (Cameroun) et de Roger Lemerre (Tunisie) sont les plus efficaces parce que bien plus disciplinées et mieux rodées que leurs adversaires. Et aussi parce que les Lions indomptables et les Aigles de Carthage peuvent compter sur deux goleadores de classe mondiale : Samuel Eto’o et Dos Santos. Les Éléphants ivoiriens disposent aussi d’un attaquant redoutable, Didier Drogba, mais privé du soutien d’Aruna Dindane et souvent mal servi, le canonnier de Chelsea s’est contenté du minimum.
Paradoxalement, ce sont les petites équipes qui se sont détournées de la pensée unique et ont permis de retrouver, par moments, le goût de la véritable émotion. Congolais, Guinéens, Zambiens et Zimbabwéens ont joué sans complexes, s’appliquent à « faire vivre » le ballon et attaquent sans calcul. Parfois assez bien, parfois avec précipitation. Un jeu « anarchique » (dixit Just Fontaine) fort sympathique. Mais victimes de leurs carences défensives, ils s’exposent immanquablement aux contres et paient leurs erreurs au prix fort. Pourtant, ils n’ont pas moins déçu que les Éperviers togolais, cloués au sol par des conflits internes, ou les Bafana Bafana sud-africains, venus faire du tourisme au pied des Pyramides.

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