La victoire du Hamas et de Sharon1
La victoire du Hamas a suscité des réactions passablement alarmistes. Après la surprise et l’émotion, le raz-de-marée islamiste devrait probablement inspirer des analyses moins dramatiques. D’emblée, une autre lecture est possible, pour peu qu’on sache raison garder.La victoire du Hamas est d’abord une victoire de la démocratie. Ce n’est pas rien alors que de bons esprits nous expliquent que le monde arabo-musulman y est réfractaire et qu’on n’hésite pas à détruire un pays pour l’y acclimater. L’adhésion des Palestiniens à la démocratie relève de l’héroïsme (voir « Mention bien » d’Amira Haas). Depuis un siècle, ils ont largement fait leurs preuves en matière de résistance nationale ; voici qu’ils nous donnent une leçon magistrale de démocratie. Cette conjoncture nouvelle n’a pas échappé à George W. Bush lui-même. Et les Arabes, tous les Arabes, devraient en prendre de la graine.
La victoire du Hamas a plusieurs causes, mais la principale tombe sous le sens. Elle a un nom unique : Ariel Sharon. L’accession des islamistes au pouvoir va désormais figurer en bonne place dans son héritage. Au même titre que ses faits d’armes ou ses bourdes monumentales (Liban, colonies). Mais, cette fois, il ne sera plus là pour réparer les conséquences de sa brutale imprévoyance. De diverses manières, il a fait le lit du Hamas et préparé sa victoire électorale. D’abord en enterrant les accords d’Oslo et le processus de paix. Ensuite en détruisant l’Autorité palestinienne. Systématiquement, méthodiquement, cyniquement. Déclarant, avec la bénédiction des États-Unis, Yasser Arafat « hors jeu » (irrelevant), il a réussi à ôter toute autorité à l’Autorité palestinienne. Sa politique n’a pas changé sur l’essentiel avec Mahmoud Abbas. Le sharonisme n’est rien d’autre que cet unilatéralisme qui est la mort de la négociation par exclusion du partenaire. L’ennui, c’est que cette stratégie entraîne quelques effets secondaires et se révèle un jeu de dupes du type « qui gagne perd ». L’assassinat politique ciblé de l’Autorité palestinienne, de l’OLP et du Fatah a si bien réussi qu’il a provoqué la montée en puissance du radicalisme islamiste.
La victoire du Hamas n’était pas si imprévisible. Ehoud Olmert, le Premier ministre par intérim, qui l’appréhendait, a visiblement « voté » Fatah. Sa déclaration sur l’« indépendance nationale palestinienne » allait dans ce sens, de même que le traitement inhabituel accordé à Marwane Barghouti, qui, de sa prison, a pu s’exprimer sur deux chaînes satellitaires. Ces initiatives destinées à sauver les meubles n’ont rien changé. Peut-être même ont-elles été contre-productives.
Que va faire le Hamas de sa victoire ? À première vue, ayant pour objectif la destruction d’Israël et la lutte armée comme unique moyen, il se place en dehors de tout processus de paix. Le rapport de forces étant ce qu’il est, les Palestiniens risquent de perdre partout leurs partenaires et de s’isoler davantage. Mais si l’on ne voit pas le mouvement islamiste abandonner du jour au lendemain « ses positions de principe », il n’est pas impossible qu’il fasse preuve de pragmatisme. Les positions jusqu’au-boutistes qu’il défendait dans l’opposition, en toute irresponsabilité, pourraient être révisées une fois le mouvement confronté aux faits et à l’épreuve du pouvoir. Cheikh Ahmed Yassine, chef spirituel du Hamas, n’avait-il pas proposé aux Israéliens une trêve de trente ans ? Il avait utilisé un auguste intermédiaire, le roi Hussein de Jordanie, mais sa démarche est restée lettre morte
À vrai dire, l’attitude future du Hamas dépend beaucoup d’Israël. Sans doute affaibli par la disparition de Sharon, le pays est condamné à l’expectative jusqu’aux élections de mars. Mais avant et après Sharon, on note une évolution en profondeur des Israéliens, qui, la lassitude aidant, aspirent à la paix et se montrent disposés à en payer le prix. Le temps des concessions et des compromis territoriaux, y compris sur Jérusalem, semble enfin arrivé. Une telle évolution se reflète sur les professions de foi d’Amir Peretz, le nouveau chef du Parti travailliste. Elle pourrait infléchir dans la bonne direction la stratégie d’Ehoud Olmert, le leader de Kadima. Bref, le pire n’est pas sûr et la victoire du Hamas ne favorise pas mécaniquement le retour du Likoud et de Benyamin Netanyahou, qui, lui, n’a rien appris ni rien oublié.
Ce parti pris d’optimisme n’est pas aussi saugrenu qu’il y paraît. Voici ce qu’écrit Uri Dromi, de l’Institut israélien de la démocratie : « Finalement, je me réjouis de la victoire du Hamas. Les choses pourraient être désormais plus claires. Il n’y aura pas de règlements de comptes, de double langage à la Arafat, d’impuissance à la Abbas. Il vaut mieux avoir affaire à un ennemi déclaré : se battre impitoyablement avec lui tant qu’il est votre ennemi et s’asseoir pour discuter avec lui quand il est sincèrement disposé à traiter. »
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?