La nouvelle alliance

En Asie, Washington ne courtise plus seulement la Chine…

Publié le 28 novembre 2004 Lecture : 4 minutes.

La nouvelle a de quoi surprendre : New Delhi fait partie des capitales où l’on a suivi avec le plus d’attention l’élection présidentielle américaine. Et l’un des événements les plus importants de ces dernières semaines sur la scène mondiale a sans doute été la levée de l’embargo américain sur les ventes de technologies spatiales à destination de l’Inde. Certaines évolutions cruciales dans les relations internationales passent parfois inaperçues, comme le rapprochement entre les deux plus grandes démocraties de la planète. Il constitue pourtant un changement majeur que l’attention excessive accordée à la Chine, en Asie, a conduit à sous-estimer trop longtemps.
Certes, les prémices de ce réchauffement indo-américain sont assez anciennes. L’abandon de l’alliance traditionnelle entre Moscou et New Delhi qui a suivi l’éclatement de l’URSS a d’abord rendu possible, il y a une quinzaine d’années, cette évolution jusque-là impensable. Puis le choix par Rajiv Gandhi, dès le début des années 1990, d’abandonner progressivement la politique économique socialiste, étatiste et nationaliste de l’Inde pour la diriger, fût-ce timidement, vers le libéralisme et l’ouverture vers l’extérieur a levé un obstacle « idéologique » de taille. On a donc assisté, dès le milieu des années 1990, à l’amorce d’un dialogue avec Washington qui n’avait jamais été entamé sérieusement depuis les années 1950.
La confirmation et l’amplification de ces choix par les nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP), à leur arrivée au pouvoir en 1998, n’ont pas immédiatement provoqué une nouvelle amélioration des relations bilatérales. Car la décision du gouvernement indien de procéder à des essais nucléaires a irrité Washington, qui voulait que le club des puissances nucléaires reste le plus fermé possible. En outre, la Maison Blanche tenait à son alliance privilégiée avec le Pakistan – lequel s’est aussitôt engagé, à la suite de son rival indien, sur la voie atomique, démontrant les dangers de toute entorse au gel de la prolifération…
Mais la détermination de l’Inde et la démonstration de sa puissance ont rapidement conduit Washington à prêter beaucoup plus d’attention à ce géant démographique et économique. D’autant que son face-à-face trop exclusif avec la Chine paraissait de plus en plus risqué. Et que le BJP, contrairement au parti du Congrès qui a dirigé l’Inde presque en permanence depuis l’indépendance, était une formation plutôt libérale, plus susceptible, a priori, de coopérer avec les États-Unis.
Après le 11 septembre 2001, l’Inde, arguant de son combat contre le terrorisme au Cachemire et profitant de l’affaiblissement du Pakistan qui avait soutenu le régime taliban en Afghanistan, a jugé à son tour que le temps d’une véritable alliance avec Washington était venu. La décision prise alors par les nationalistes hindous, pour le moins réservés sinon hostiles envers les musulmans, de modifier profondément la position du pays face au conflit du Proche-Orient a confirmé cette évolution. New Delhi, toujours au nom de la lutte antiterroriste, a abandonné son soutien jusque-là sans faille aux Palestiniens pour privilégier les relations avec Israël, devenu depuis un partenaire stratégique. D’importants accords en matière de fabrication et de fourniture d’armements ont été conclus entre les deux pays.
La formation d’une alliance, sinon d’un véritable axe Washington-New Delhi, s’est ainsi accélérée. Des manoeuvres communes entre les deux armées ont été organisées. Les contrôles sur les importations indiennes de matériels sensibles ont été fortement allégés et continuent de l’être. Et il est clair que c’est en grande partie sous la pression des Américains qu’Islamabad a renoncé à soutenir ouvertement les combattants islamistes qui exigent le rattachement de l’ensemble du Cachemire au Pakistan. Résultat : la tension baisse le long de la frontière ouest de l’Inde. Les négociations en cours entre les deux voisins devraient encore renforcer cette évolution qui tourne à l’avantage de New Delhi. L’Inde ne réclame-t-elle pas, en fin de compte, que la fin des hostilités et un statu quo territorial au Cachemire ?
Le retour au pouvoir à Delhi, en mai dernier, d’une coalition de gauche dirigée par le parti du Congrès n’a pas remis en question le processus de rapprochement avec Washington. Mais si son importance stratégique pour les deux pays est à nouveau confirmée, certaines de ses limites pourraient devenir plus apparentes.
Pour les Américains, en effet – contrairement aux espoirs entretenus longtemps par les Indiens -, l’amélioration des relations bilatérales n’implique aucune volte-face de leur politique étrangère. Ils ont certes cessé de soutenir unilatéralement le Pakistan et de courtiser seulement les Chinois. C’est une évolution majeure. Mais il n’est pas dit qu’elle doive se poursuivre très au-delà du stade atteint aujourd’hui. Car le contrôle du Pakistan, voisin de l’Afghanistan et de l’Iran, reste un problème crucial pour Washington, plus que jamais obsédé par la lutte contre le terrorisme et l’influence islamistes. Et l’Inde, malgré son essor économique et l’atout que représente son parcours démocratique exemplaire, ne deviendra pas de sitôt un enjeu aussi important que la Chine. Du côté de New Delhi, de même, il n’est pas question d’abandonner une grande prudence face aux volontés impériales américaines. Le refus d’envoyer des soldats en Irak malgré les pressions insistantes de l’administration Bush comme le rôle central que joue l’Inde pour fédérer les pays du Sud face aux Occidentaux dans les négociations économiques internationales montrent que la préférence du pays de Nehru pour le multilatéralisme – ce qu’on appelait le non-alignement du temps de la guerre froide – ne se dément pas.

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