Tempête sur Manhattan

La 63e Assemblée générale était consacrée au développement. On y a aussi (un peu) parlé du Soudan, de la Cour pénale internationale et de la Mauritanie. Mais pendant ce temps-là, à Wall Street…

Publié le 28 septembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Au départ, tout était en place pour une belle Assemblée générale consacrée au développement. De fait, si l’on s’en tient aux promesses, le « sommet antipauvreté » du 25 septembre a été un beau succès. « Nous avons des engagements à hauteur de 16 milliards de dollars », a annoncé Ban Ki-Moon, le secrétaire général de l’ONU. Gordon Brown, le Premier ministre britannique, a eu cette jolie formule : « Dans le passé, nous devions aider à nourrir l’Afrique. Dans l’avenir, nous permettrons à l’Afrique de nourrir le monde. » Pour mobiliser 3 milliards de dollars contre le paludisme, les stars étaient là aussi : le milliardaire Bill Gates, les chanteurs Bono et Youssou N’Dour, la mannequin Christie Turlington Sourires, congratulations
L’image était belle, mais, en réalité, personne n’ignorait qu’à quelques kilomètres de l’immeuble de verre de l’ONU une tempête financière balayait Wall Street. Dès le 23 septembre, à la tribune de l’Assemblée générale, le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva avait sonné la charge contre les spéculateurs : « Nous ne pouvons admettre que l’avidité sans bornes de quelques-uns devienne le fardeau de tous. Ils prétendent gagner tout seuls, mais veulent partager les pertes. C’est inacceptable. » « Quand les banques et les fonds spéculatifs distribuent de grosses primes, ils claironnent leur succès. Mais quand ils perdent de l’argent, personne ne sait qui est responsable », avait renchéri le Français Nicolas Sarkozy.
Dans les couloirs de l’ONU, certains délégués ne cachaient pas leur satisfaction. « Fini les leçons de George W. Bush sur les bienfaits du marché. Il est obligé de débourser 700 milliards de dollars pour renflouer les banques. J’attends son discours avec intérêt », glissait ainsi un diplomate africain. Finalement, la dernière adresse du président américain à l’ONU s’est révélée fort terne. Un appel à l’union de tous contre le terrorisme, et seulement quelques phrases sur la crise financière : « Je puis vous assurer que notre administration et notre Congrès coopèrent. Je suis convaincu que nous allons agir avec la rapidité nécessaire. »

Harcèlement ?
C’est un autre Américain, le président de la Banque mondiale Robert Zoellick, qui a dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas : « Je suis inquiet, la crise a déjà un effet sur les engagements financiers des pays riches. Dans certaines zones, l’impact pourrait devenir plus grave. » Le président béninois Boni Yayi a enfoncé le clou : « Pour trouver 700 milliards de dollars, le gouvernement américain va devoir lever l’épargne du reste du monde. Ce sera autant d’argent en moins pour le développement. »
La finance, mais aussi la politique. La semaine dernière, plusieurs hommes d’État africains se sont rendus à New York avec un agenda très précis : faire barrage à la justice internationale. Pour Ali Osmane Taha, le numéro deux soudanais, il fallait coûte que coûte éloigner la menace d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) contre le président Omar Hassan el-Béchir. Mais l’objectif est loin d’être atteint. Certes, le Soudan a bénéficié du soutien de tous ses amis sur le continent. « Pourquoi n’y a-t-il que des hommes d’État africains dans le collimateur de la CPI ? C’est du harcèlement ! » a lancé Boni Yayi. Opinion partagée par le Gabonais Jean Ping, le président de la Commission de l’Union africaine : « Nous ne sommes pas contre la justice internationale, mais il semble que l’Afrique soit devenue un laboratoire de nouvelles lois. »
Néanmoins, les partisans d’un compromis entre le Soudan et l’ONU sont rentrés bredouilles. Sarkozy était arrivé à New York avec une proposition claire : « Si M. Béchir change radicalement de politique au Darfour et retire de son gouvernement les gens qui sont accusés de génocide, je ne suis pas opposé à une suspension des poursuites contre lui », avait-il fait savoir, lors d’une miniconférence de presse. Mais Bush n’est pas sur la même longueur d’onde. « À six semaines de l’élection américaine [le 4 novembre, NDLR], il ne peut pas faire de concessions à Béchir. Cela plomberait la campagne de McCain dans la communauté juive et chez les chrétiens fondamentalistes, très hostiles au régime de Khartoum », commente un diplomate onusien. Pendant toute la semaine, le procureur de la CPI, l’Argentin Luis Moreno-Ocampo, a arpenté les couloirs de la Maison de verre. Après quatre jours d’intense lobbying, il arborait un large sourire
Autre homme d’État fâché avec les juges sans frontières, le Rwandais Paul Kagamé : « Si n’importe quel juge décide d’appliquer les lois de son pays à un autre État, on va vers un chaos légal », a-t-il estimé à la tribune. L’allusion, bien sûr, visait les magistrats français et espagnol qui ont lancé des mandats d’arrêt contre une quarantaine de ses proches, pour la plupart officiers dans l’armée rwandaise. Mais Kagamé n’a rien lâché. Son très discret tête-à-tête avec Sarkozy, dans la soirée du 23 septembre, ne l’a pas fait bouger d’un iota. Il a demandé au président français de faire annuler la procédure visant les dignitaires rwandais. « C’est une décision de justice et je n’y peux rien », lui a répondu son interlocuteur. Conclusion de Bernard Kouchner, le ministre français des Affaires étrangères : « La situation est bloquée. »
Quant au Sénégalais Abdoulaye Wade, il ne décolère pas contre le juge français qui enquête sur le naufrage du Joola, en septembre 2002, et a délivré neuf mandats d’arrêt contre des personnalités sénégalaises. « Je connais la tendance des juges français à attaquer de hautes personnalités pour être célèbres, a-t-il lancé devant les journalistes. Ces juges qui inculpent des chefs d’État à tour de bras, il faudrait que quelque chose les arrête. Il faut mettre fin à cette politisation de la justice. »
Comme souvent, cette Assemblée générale a été riche en paroles, mais pauvre en décisions. En marge de la grand-messe, il s’est quand même passé quelque chose de significatif. Le 22 septembre, les délégués au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine ont lancé un ultimatum aux militaires mauritaniens et à leur chef, le général Ould Abdelaziz : « Si vous ne rendez pas le pouvoir au président élu avant le 6 octobre, vous risquez d’être sanctionnés par l’ONU ! »

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Aucune hésitation
À la manuvre, Jean Ping, bien sûr, mais aussi l’Algérien Ramtane Lamamra, le nouveau commissaire à la paix et à la sécurité de l’UA. À l’issue du vote, Abdelkader Messahel, le ministre algérien chargé des Affaires maghrébines et africaines, jubilait : « La position exprimée n’a souffert d’aucune hésitation, d’aucune forme d’indécision. »
Bien entendu, les Marocains, qui se sont retirés de l’OUA il y a vingt-six ans, étaient les grands absents de la réunion. Au moins ont-ils pu savourer une petite phrase de Blaise Compaoré. Au moment où son pays préside le Conseil de sécurité, le chef de l’État burkinabè a lâché : « Concernant le Sahara occidental, les efforts déployés par les protagonistes du conflit, et notamment par le royaume du Maroc, ainsi que l’appel du Conseil de sécurité pour un règlement empreint de réalisme offrent des perspectives encourageantes. »
Cette année, enfin, quelques hommes d’État ont brillé par leur absence. À commencer par le Sud-Africain Thabo Mbeki, contraint à la démission deux jours auparavant. « C’est une nouvelle accablante, a reconnu son vieil ami zimbabwéen Robert Mugabe, mais telle est la volonté du peuple sud-africain. » Très visible l’an dernier, l’Ivoirien Laurent Gbagbo ne s’est, cette fois, pas déplacé. Quant au Congolais Joseph Kabila, il a annoncé sa venue, puis annulé au dernier moment. Confidence d’un diplomate : « La secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice voulait organiser une rencontre Kabila-Kagamé, mais, pour le moment, le président congolais ne veut pas en entendre parler. »

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