Mon fils n’est pas un Visage pâle !

Publié le 28 septembre 2008 Lecture : 2 minutes.

Dans la série des malentendus qui surgissent quand se télescopent des cultures différentes, en voici un qui ne manque pas de sel – de sel marin, bien sûr (vous allez comprendre pourquoi).
Or donc, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quand la Hollande était ruinée, détruite, misérable en un mot, des âmes charitables pensèrent aux milliers de petits garçons et de petites filles qui n’avaient pas les moyens d’aller en vacances. On créa donc une organisation, dotée de quelques autobus roulant au charbon de bois et conduits par des invalides de guerre, qui se chargeait de collecter au matin blême les gamins et les gamines dans les rues d’Amsterdam et de les convoyer vers les dunes, au bord de la mer du Nord. Toute une journée à gambader dans le sable et dans l’eau, à chanter à pleins poumons, à manger des tartines de gouda mêlé de hareng, voilà qui était censé reconstituer les globules rouges des mouflets et leur donner un moral d’acier pour la rentrée scolaire. L’organisation s’appelait « Les Visages pâles » – on ne rit pas : il fallait trouver un nom à la fois ludique – il s’agissait d’enfants, après tout – et qui dise bien ce qu’il veut dire.
Les années passent, les Trente Glorieuses aussi, le niveau de vie est multiplié par dix et l’organisation « Les Visages pâles » est toujours là. Mais des Blancs pauvres, il n’y en a plus : les blondinets et les blondinettes passent aujourd’hui leurs vacances avec papa-maman en Ardèche ou en Toscane, à moins qu’ils ne chassent carrément la gazelle au Kenya. En revanche, des pauvres noirs, bruns ou jaunes, il y en a en pagaille. Tout l’arc-en-ciel se presse dans les autobus filants vers les dunes et la mer. Tout baigne – c’est le cas de le dire.
Tout baigne ? Non. C’était compter sans Bouazza. J’appelle ainsi ce bonhomme ahurissant, né d’une montagne, qui a dernièrement lancé un mouvement de boycottage de tout le programme. Pourquoi ? Parce que, selon Bouazza, le nom « Les Visages pâles » serait péjoratif. S’emmêlant complètement les pinceaux, ce buf se remémore quelques westerns entrevus au cinéma Lux dans sa jeunesse et affirme que ce nom-là, c’était une injure. On a beau lui expliquer que c’était les Indiens qui traitaient les cow-boys de visages pâles, il n’en démord pas : son fils Abdelmoula et sa fille Zaâloula ne monteront pas dans « l’autobus de la honte » – tout de suite les grands mots. Et le voilà qui lance une pétition pour changer le nom de l’organisation.
Eh bien, ami lecteur, Bouazza a gagné. On a donc un bus plein de petits Antillais et de petits Marocains sur le flanc duquel s’étale cette fière épithète : « Les Bronzés ». C’est mille fois plus péjoratif – et c’est contradictoire : s’ils sont déjà bronzés, quel est l’intérêt de les transporter vers le grand large ? Mais Bouazza s’en fiche. On ne traite pas impunément ses deux morveux d’Indiens ! Ou de cow-boys ? C’était quoi déjà ? Peu importe. De toute façon, Bouazza n’a rien compris au film

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