Dessine-moi un avenir

Publié le 28 septembre 2008 Lecture : 4 minutes.

Blues, incertitude, précarité Les jeunes se cherchent. En Algérie peut-être plus qu’ailleurs, l’absence de dialogue entre les générations et les difficultés à trouver sa place dans la société font douter les jeunes et assombrissent leur vision du futur. « Il y a un vacillement des valeurs : la famille, l’école, les institutions, les politiques Les jeunes sont désenchantés, ils manquent de repères et d’un projet de société. Les pouvoirs publics en sont conscients, mais les changements ne vont pas assez vite », analyse Saïd Benmerad, chef de projet au Centre national d’études et d’analyses pour la population et le développement (Ceneap). Il faut dire que la tâche est colossale.
Plus d’un jeune Algérien sur deux est persuadé qu’il vivrait mieux ailleurs. C’est l’amer constat d’un sondage réalisé par le Ceneap pour le compte du ministère de la Jeunesse et des Sports, à la fin de 2007 (voir p. 44). Diffusé parcimonieusement, il a été commandé par les autorités après l’attentat sanglant perpétré par un jeune contre le cortège présidentiel, le 6 septembre 2007, à Batna. Complété par des enquêtes du Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) d’Oran, il doit servir de base au gouvernement pour élaborer une politique de la jeunesse. « Les jeunes ne croient plus à la construction d’un pays ouvert. Ceux qui attendaient une Algérie moderne, avec un développement à l’espagnole, perdent peu à peu espoir. L’ascenseur social fonctionne moins bien qu’il y a vingt ans », résume Saïd Benmerad. Selon le Crasc, 49,6 % des jeunes pensent que « les choses ont évolué négativement » depuis octobre 1988 et accusent les politiques de ne pas avoir tenu leurs promesses. D’où ce mal-être qui traverse une grande partie des 15-29 ans.
70 % d’entre eux sont au chômage. À cela deux raisons : l’échec des systèmes scolaire et universitaire, et l’inadaptation des diplômes et des formations au marché du travail.
Certains jeunes en sont réduits à vendre des fournitures scolaires sur les trottoirs avant d’affronter le parcours du combattant pour trouver une place dans des facs, des centres de formation ou des résidences universitaires vétustes et surchargés. « L’an passé, on se relayait à trois pour un matelas », se souvient Sakina, une étudiante de 23 ans. Une expérience que refuse de vivre Lyes, 18 ans. Avant l’été, il a décroché son bac avec mention bien. Il quittera bientôt le cocon familial, un pavillon cossu de la banlieue d’Alger, pour Montpellier. « J’aimerais faire sciences politiques, mais je vais d’abord m’inscrire en fac d’économie, pour m’adapter », précise-t-il. Pourquoi la France ? « C’est convenu de longue date avec mes parents, c’est pour cela que j’ai passé un bac français. Car la fac algérienne comme l’enseignement n’ont pas très bonne réputation à l’étranger. Alors les diplômes », glisse le jeune homme, qui rêve d’être consultant dans une institution internationale, comme son père. Un projet de départ partagé par Yasmine, 22 ans. « J’essaie de partir au Canada. Je n’arrive pas à me projeter. OK, j’ai fait l’université, mais pour quoi faire ? » s’interroge la jeune diplômée d’une école de commerce algérienne, dans un pays qui compte près de 1,2 million d’étudiants (dont plus de 60 % de filles).
Un doute qui saisit également les jeunes formés à un métier. Leur rêve ? « Une femme, une auto, un appartement et un boulot », répond du tac au tac, dans les rues de Bab el-Oued, Nassim, un jeune électricien de 20 ans au chômage. Il lui faudra patienter. « J’ai tout essayé, peste-t-il. On est déjà des vieux. Dans dix ans, que dirai-je à mon fils ? Que j’ai soutenu les murs quand j’avais 20 ans ? » Vêtu d’un T-shirt noir, les cheveux courts et gominés, il tient, avec deux compères du même âge, Salah et Hamza, un étal ambulant chargé de tongs et de vêtements pour enfants à 100 dinars made in China. De quoi vivoter. En Algérie, note le Crasc, le travail informel est devenu une source de subsistance et d’intégration sociale pour une majorité de jeunes. « Plus de 70 % des sondés pratiquent des petits commerces : tabac, vêtements, portables, etc. L’activité rassemble tous les niveaux d’instruction. Ils ont perdu l’espoir d’acquérir un travail stable. »
Soudeur de formation, Salah jure n’avoir rien trouvé dans sa filière. Et quand il ne vend pas des fripes, il fabrique des chaînes chez un bijoutier. « Un stage non rémunéré », râle-t-il, un téléphone portable dernier cri à la main. « C’est mon seul bien, se justifie Salah. Le pays est riche, mais ça n’arrive pas jusqu’à nous. On ne nous écoute pas, on nous méprise. Il n’y a rien d’autre à faire que fuir. » C’est ce qu’ont fait quatre de ses copains, qui travaillent dans des vergers en Espagne. Comme Nassim et Hamza, Salah rêve de partir. En Angleterre par exemple, où vivent ses deux frères, mariés et installés. L’un est gardien de nuit, l’autre gère une supérette.
Cachés dans des conteneurs, dans les cales d’un navire marchand ou à bord d’une embarcation de fortune, beaucoup ont essayé, dès l’âge de 14 ans, de prendre la poudre d’escampette, sans succès. En 2005, ils étaient officiellement 335 à avoir tenté de fuir le pays au péril de leur vie. Puis 1 016 en 2006 et 2 400 en 2007. En réalité, ces « brûleurs de frontières » seraient bien plus. Ils déboursent de 500 à 4 000 euros pour tenter de rejoindre l’Europe.
Les jeunes Algériens entretiennent une relation ambiguë avec leur pays : 64 % « sont fiers d’être citoyens algériens », selon le Crasc. Et malgré leurs critiques sévères du système, ils hissent l’identité nationale au rang de valeur refuge en attendant de devenir des citoyens à part entière « Il faut leur offrir une chance de se réaliser. Les jeunes seront l’un des thèmes majeurs de la campagne présidentielle en 2009. S’ils se mobilisent, ils peuvent faire basculer une élection », estime Saïd Benmerad. Candidats, à vos programmes !

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