Dîner de gala

Publié le 28 août 2005 Lecture : 2 minutes.

Les nostalgiques des années 1970, de l’esprit de Bandoung et du non-alignement se souviennent avec émotion de la Chine de Mao exportant en Afrique ses médecins, ses agronomes et ses techniciens dans les interstices de la guerre froide. C’était l’époque glorieuse du Tanzam – le chemin de fer Tanzanie-Zambie -, du port de Nouakchott, des palais du peuple et des stades de l’amitié livrés clés en main. Celle aussi, moins avouable, des armes offertes aux adeptes de la Troisième Voie, de Savimbi à Mengistu, du Panafricanist Congress d’Afrique du Sud aux rebelles mulelistes du Zaïre. Trois décennies plus tard, tout a changé sauf l’essentiel : la Chine reste, sur le continent, une puissance autonome et un recours, même si ses intérêts n’ont plus rien d’idéologique.
Au Petit Livre rouge se sont désormais substitués les carnets de commande de l’import-export. Le quart des importations chinoises de pétrole provient d’Afrique et Pékin absorbe 60 % des exportations de bois tropicaux du continent. Pêche, minéraux, cultures de rente : le fantastique marché chinois engloutit tout ce qui est à sa portée, via les quelque 700 sociétés d’État implantées du Cap au Caire. La Chine, c’est une autre façon de faire du business. Des crédits à long terme et à très faible taux d’intérêt, des dons en nature, des investissements dans des gisements a priori peu rentables, des caprices de chef d’État en mal d’« éléphants blancs » satisfaits, sans états d’âme, une opacité à toute épreuve et surtout une règle d’or : on travaille avec le pouvoir en place quel qu’il soit et on ne se mêle pas de ses affaires intérieures.
Légitimistes et fétichistes de la souveraineté nationale, les Chinois sont une bénédiction et une planche de salut pour les régimes en froid avec les critères – économiques, politiques ou les deux à la fois – de la bonne gouvernance. Dans cette catégorie cohabitent des pays en détresse financière comme la Centrafrique et le Togo, des « États parias » comme le Soudan, le Zimbabwe ou la Côte d’Ivoire, mais aussi des pétroliers séduits par la religion de la non-ingérence en vigueur à Pékin : Angola, Gabon, Congo. Au Conseil de sécurité de l’ONU comme à la Commission des droits de l’homme de Genève, tous peuvent être assurés du veto chinois dès que le mot sanctions se profile à l’horizon.
On dira certes qu’en échange la coopération chinoise ne va pas sans risques. Ni la transparence financière ni le respect de l’environnement ne figurent dans sa charte de conduite, encore moins la préservation des emplois locaux sinistrés par l’invasion des produits made in China. Ceux qu’inquiète la concurrence de l’empire du Milieu – Français, Américains, Britanniques… – lui font reproche et se plaignent de ne pouvoir lutter à armes égales. Sont-ils pour autant qualifiés à lui donner des leçons de morale, après des décennies de pillage sans partage ? C’est loin d’être sûr. « La révolution, disait Mao, n’est pas un dîner de gala. » Le commerce non plus.

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