Le sens d’un limogeage

À un an des élections législatives, Bouteflika remplace Ahmed Ouyahia, un « démocrate moderniste », par Abdelaziz Belkhadem, le très conservateur patron du FLN, à la tête du gouvernement.

Publié le 28 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

Le 24 mai, après une éclipse de quinze jours, Ahmed Ouyahia réapparaît enfin en public. Le Premier ministre est au palais d’El-Mouradia pour remettre sa démission au président Abdelaziz Bouteflika. Dans la foulée, ce dernier reçoit Abdelaziz Belkhadem, le secrétaire général du Front de libération nationale (FLN), l’ex-parti unique dont le chef de l’État reste le président, et le nomme à la tête du gouvernement.
Après trois ans au pouvoir, le départ d’Ouyahia a surpris certains commentateurs, qui rappellent son bilan plus qu’honorable : 5 % de croissance en moyenne, inflation maîtrisée, chômage en forte baisse et lancement du programme d’investissements (80 milliards de dollars d’ici à 2009) décidé par Bouteflika. Par ailleurs, le Premier ministre sortant peut se prévaloir d’avoir désamorcé la crise kabyle (la région était en ébullition depuis avril 2001), d’avoir tenu l’engagement présidentiel de reloger tous les sinistrés du tremblement de terre de Boumerdès (mai 2003) et, surtout, d’avoir gardé les clés de la « maison Algérie » pendant la longue hospitalisation de Bouteflika pour un ulcère hémorragique, fin 2005. En outre, Ouyahia a toujours fait preuve d’une loyauté sans faille à l’égard du chef de l’État. Jusqu’à faire campagne pour sa politique de « réconciliation nationale » alors que lui-même a longtemps été partisan d’« éradiquer » l’islamisme armé.
Bien que le remaniement du 24 mai soit très limité – outre celle de Belkhadem, la seule arrivée est celle d’Hachemi Djiar au ministère de la Communication, vacant depuis trois ans -, il ne sera pas sans conséquence sur l’échiquier politique. Au sein de l’Alliance présidentielle, la coalition islamo-nationaliste qui soutient Bouteflika, le Rassemblement national démocratique (RND) d’Ouyahia représente le courant démocratique et moderniste – qui ne sort évidemment pas renforcé de l’opération. La nomination de Belkhadem, qui fut, en février 1995, un farouche partisan du « Contrat de Rome » (conclu par des personnalités politiques d’horizons divers, sous les auspices de la communauté catholique Sant’Egidio, cet accord se prononçait notamment pour la relégalisation du FIS), est-il le symptôme d’un recentrage idéologique ? Tout incite à le penser.
L’entrée en vigueur, le 1er mars, de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale – et son corollaire, l’amnistie pour les terroristes qui acceptent de déposer les armes – a été ressentie comme une injustice par les Patriotes. Ces civils qui, pendant la guerre civile, avaient pris les armes contre les maquisards islamistes, se retrouvent aujourd’hui abandonnés à leur sort, sans statut spécifique ni indemnités dignes de ce nom. Pour eux, le départ d’Ouyahia est une très mauvaise affaire, mais il est peu probable que leur mécontentement se manifeste autrement que verbalement.
Selon toute apparence, le RND restera dans le giron présidentiel. Difficile pour lui de faire défection à un an d’une échéance législative cruciale (mai 2007, en principe). Mais l’épisode devrait laisser des traces. On ne peut, par exemple, exclure que les militants songent à se débarrasser à brève échéance d’un chef devenu encombrant en raison de sa disgrâce.
À l’inverse, les islamistes de toutes obédiences se frottent les mains. Bouguerra Soltani, le patron du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas), revendique même la paternité du limogeage d’Ouyahia. De fait, depuis plusieurs semaines, il réclamait sur tous les tons un changement à la tête de l’exécutif, afin, selon lui, de garantir la neutralité du gouvernement lors du prochain scrutin législatif. Il n’est évidemment pas démontré que ladite neutralité sera mieux assurée avec Belkhadem, mais qu’importe : les islamistes du MSP se félicitent de la « transparence » qui a marqué le changement de Premier ministre. Au FLN aussi, on jubile : le parti revient aux affaires après une absence de trois ans et une crise existentielle qui faillit l’emporter, en 2004. L’opinion et le reste de la classe politique se consoleront sans doute très vite du départ d’Ouyahia. Au populisme et à la démagogie, ce dernier préférait le pragmatisme et l’efficacité. Sa popularité n’y a pas résisté.
Enfin, tout cela confirme le net recul de l’influence des militaires sur la vie politique. Belkhadem n’est en effet pas en odeur de sainteté au sein de la haute hiérarchie de l’armée. Ses sympathies islamistes, son passé « romain » et ses affinités supposées avec l’Iran et certains pays du Golfe lui ont valu d’être récusé par les généraux lorsque, en août 2000, Bouteflika a une première fois tenté de le nommer à la tête du gouvernement. Cette fois – et c’est nouveau -, l’état-major n’a pas été en mesure d’imposer son veto.

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