Le grand tournant

Publié le 28 mai 2006 Lecture : 6 minutes.

Depuis que l’humanité existe et que les hommes et les femmes se reproduisent, se pose à eux, avant chaque naissance, la grande question : garçon ou fille ?
De tout temps, sur tous les continents, quel que soit le degré d’éducation et d’évolution des parents, quel que soit leur niveau de richesse ou de pauvreté, ils ont prié pour que l’enfant qu’ils attendaient soit un garçon.
Lorsqu’en Chine, pour enrayer une croissance démographique trop forte, les autorités ont imposé la politique de l’enfant unique, nombre de ceux qui ont donné naissance à une fille se sont sentis tellement désemparés qu’ils se sont résolus à l’abomination : l’infanticide.
Pour avoir droit à une seconde naissance, dont ils espéraient un garçon.

Cette préférence historique pour les garçons a ses raisons : tout au long des cinq à dix mille ans de l’Histoire (connue) de notre espèce, l’homme, sexe fort, a dominé la femme, classée comme faible. Il était le chef du couple, celui qui travaillait pour le nourrir et le loger. L’enfant mâle avait la charge des vieux parents ; mieux éduqué que la fille (qui souvent ne l’était pas du tout), il était agent de progrès et d’enrichissement de la famille
En un mot comme en mille, avoir pour enfant(s) un ou des garçons est apparu aux couples, à travers l’Histoire, comme une bénédiction et l’assurance d’une meilleure protection, d’un plus grand bien-être

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J’ai le plaisir de vous apprendre, si vous ne le savez pas encore, que cette longue période de notre Histoire est en train de s’achever.
Un changement révolutionnaire, c’est le cas de le dire, a déjà commencé dans les pays les plus avancés ; il se propagera à toute la planète dans les prochaines décennies et sera accompli bien avant la fin de ce siècle : progressivement, il apparaîtra préférable à de plus en plus de couples d’avoir une fille – et non pas un garçon.
L’explication de cette extraordinaire mutation est assez simple : chacun de nous sait que les enfants constituent pour leurs géniteurs, et cela depuis que le monde est monde, à la fois un prolongement et un investissement. Les parents seront de plus en plus ?nombreux à vouloir une ou des filles parce que ces dernières seront promises à un meilleur sort, apparaîtront comme un meilleur investissement que le ou les garçons !
Les signes de ce grand tournant de l’Histoire humaine sont d’ores et déjà visibles.

Mais, avant de les citer et de les décrire, il convient d’indiquer pourquoi la femme a pu être si longtemps dominée et comment elle a pu se libérer de cette lourde domination :
– c’est essentiellement parce qu’il a accaparé l’éducation et en a tenu la femme à l’écart que l’homme a pu asseoir et maintenir sa très longue domination sur le couple ;
– la femme a brisé ses chaînes et s’est peu à peu libérée de sa condition de dominée à partir du moment où elle a commencé à accéder à l’éducation.
Là où l’éducation des filles est généralisée, l’égalité des sexes se réalise et l’Humanité progresse plus vite.
Le fait que les filles soient plus nombreuses que les garçons à l’école et à l’université, qu’elles y restent plus longtemps ou bien réussissent mieux que les garçons est, pour un pays donné, le signe annonciateur du changement : la distinction entre « le sexe fort » et « le sexe faible » disparaît pour laisser place à l’égalité des sexes.
Dans une première phase plus ou moins longue, cette égalité est théorique ou bien virtuelle : la femme lève les obstacles accumulés et rattrape son retard.
On entre ensuite dans la deuxième phase : l’égalité entre dans les murs et dans les faits ; l’inégalité apparaît comme un scandale.
Arrive enfin le stade suprême de cette évolution : l’ex-sexe faible s’est renforcé, au point de conquérir la prééminence.

C’est déjà le cas dans plusieurs pays avancés où les statistiques montrent qu’il y a plus de femmes que d’hommes dans les grandes écoles et les universités, avec des taux de réussite supérieurs. Il en résulte qu’elles sont de plus en plus nombreuses dans les fonctions les plus élevées de l’économie – et qu’elles rattrapent en termes de salaires ou de revenus un retard séculaire.
Dans la plupart des pays développés, il y a désormais, chaque année, plus de femmes diplômées des grandes écoles et des universités que d’hommes.

Le mouvement d’émancipation des femmes a commencé, dans les pays les plus avancés, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale.
En 1955, il y a un demi-siècle, aux États-Unis, seulement un tiers des femmes en âge de travailler étaient actives ; aujourd’hui, ce pourcentage a doublé, et il y a presque autant de femmes que d’hommes au travail.
Le Danemark, la Suède, le Canada et le Royaume-Uni font mieux encore que les États-Unis : le pourcentage des femmes en âge de travailler et qui uvrent dans l’économie y est sensiblement plus élevé : 70 % à 75 %.
Dans la partie la plus développée du continent asiatique, on observe la même évolution : il y a déjà plus de huit femmes au travail pour dix hommes.
On estime enfin que depuis 1970, un peu partout dans le monde, deux fois plus de femmes que d’hommes sont entrées sur le marché du travail, rattrapant ainsi d’autant plus vite leur retard.

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Lorsqu’elles s’enrôlent dans le marché du travail et s’engagent dans la course aux carrières, naguère réservée aux hommes, les femmes font-elles moins d’enfants ? Aussi étonnant que cela paraisse, la réponse est : non. Les exemples croisés de cinq pays développés le prouvent :
Le Japon, l’Italie et l’Allemagne sont, comme on le sait, en stagnation, voire en décroissance économique, parce que les femmes y font moins d’enfants que les Françaises ou les Américaines. Eh bien, c’est dans ces trois pays que le pourcentage de femmes au travail est le plus faible : autour de 50 %, parfois moins, contre plus de 60 % en France et aux États-Unis.

La conclusion générale que tout observateur objectif peut et doit tirer de ce changement révolutionnaire est très réconfortante : notre monde va, lentement mais sûrement, dans la bonne direction.
Le même observateur objectif se doit toutefois de rappeler que les trois grandes religions monothéistes – en tout cas l’usage qu’en ont fait les hommes et leur interprétation du message qu’ils pensent avoir reçu – n’ont ni établi ni favorisé l’égalité entre les deux sexes. On peut même, sans outrager personne, soutenir le contraire.
Or il est reconnu, désormais, que l’inégalité des sexes est défavorable au progrès économique et au progrès tout court. Et l’on voit bien qu’il y a, à l’inverse, une évidente corrélation entre l’éducation des filles et leur participation massive à l’activité politique, économique et culturelle.
Qui peut nier aujourd’hui que cette participation est source de développement pour toute société humaine ?

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On en arrive à penser que, pour un pays, surtout s’il est encore sous-développé, consacrer de l’argent et des efforts à éduquer aussi la moitié féminine de sa population est l’investissement le plus productif qu’il puisse faire.
Pour deux raisons, qui se complètent :
– une femme éduquée est non seulement plus productive par elle-même, mais elle donne naissance à des enfants qui, parce que élevés par une mère instruite, seront en meilleure santé et mieux formés que ceux des femmes analphabètes ;
– dans les pays sous-développés, sauf exception, le retard d’éducation des filles est énorme (les deux tiers des analphabètes du monde sont de sexe féminin, et presque toutes se trouvent dans l’ex-Tiers Monde). C’est le handicap le plus lourd des pays dits « en développement ».
Il faut donc s’attaquer en priorité à ce retard, car les potentialités de progrès les plus grandes sont là.

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