Erik Orsenna

Écrivain et académicien français

Publié le 28 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

Ancien de la « Coop », « nègre » de François Mitterrand (il est l’auteur du fameux discours de La Baule sur la démocratisation qui a donné des sueurs froides à quelques dinosaures du Continent), spécialiste du coton africain, Erik Orsenna est un vrai passionné d’Afrique. Et plus encore des questions d’immigration et d’obtention de visas qui lui ont inspiré les premières pages de Madame Bâ, son septième roman, dans lequel il se glisse dans la peau d’une Malienne qui souhaite retrouver son petit-fils qui a disparu en France. Lorsqu’il siégeait au Conseil d’État, Orsenna avait à se prononcer sur de nombreux cas d’étrangers appelés à retourner dans leur pays d’origine. L’académicien, auteur de best-sellers, nous livre son point de vue, sans concession ni arrière-pensée politique, sur la nouvelle loi française en matière d’immigration.

Jeune Afrique : Que pensez-vous de l’immigration choisie ?
Erik Orsenna : L’immigration choisie, c’est l’organisation de la fuite des cerveaux, qui constitue un drame absolu. C’est une ponction sur la première richesse de l’Afrique avec une conséquence immédiate : l’inverse de ce qui est voulu. Plus on choisira dans l’immigration, plus on privera le Sud de ses élites donc plus on empêchera le développement, et plus il y aura d’immigration clandestine. C’est absolument contre-productif ! L’immigration choisie, mais par qui ? Par nous mais redoutée par les autres. Les programmes et annonces du président sénégalais Abdoulaye Wade me rendent souvent sceptique, mais ce qu’il a dit sur ce thème à Nicolas Sarkozy, c’était parfait.

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Quel regard portez-vous sur la loi dans son ensemble ?
Je n’aime pas ce projet de loi. À cause de l’immigration choisie, bien sûr, mais aussi de cette volonté d’abroger la disposition permettant la régularisation des étrangers, même clandestins, après dix ans de présence sur le sol français. Lorsqu’on est en France depuis une décennie, on y a fait ses racines, on a montré un attachement de fait à ce pays. J’ai constaté cela au Conseil d’État. Pendant quinze ans, j’étais un de ceux qui devaient juger de la légalité des actes administratifs comme des arrêtés de reconduite à la frontière. En revanche, on ne devrait pas devenir français automatiquement. Je ne suis pas choqué par ceux qui disent qu’il faut aimer la France si on choisit d’y rester. En devenant français, on s’engage dans une société, on participe à sa vie sociale, avec des droits et des devoirs. Pour ce qui est du regroupement familial, c’est un droit. Qu’on en contrôle les dérives, pourquoi pas ?

Est-ce que la gauche a une solution de rechange à présenter ?
Il n’y a que deux solutions pour ce grave problème : le développement et l’intégration. Avouons que la gauche, dont je suis, n’a que peu de propositions. Il faut reconnaître à Sarkozy le mérite d’ouvrir le débat et de mettre le doigt sur certaines de nos incohérences. Quand j’entends Laurent Fabius, qui ne s’est jamais vraiment intéressé à l’immigration, annoncer soudain qu’il faut régulariser tout le monde, je me demande ce qui lui prend ! Chacun sait qu’une régularisation générale accroîtra mécaniquement les arrivées d’immigrés clandestins. Comment les intégrera-t-on ? Nous sommes déjà tellement en retard avec ceux qui sont chez nous. Prenez l’exemple de la langue. Un immigré régularisé doit parler le français, c’est le premier lien avec notre société. Apprendre le français, c’est d’ailleurs un bon moyen pour les femmes d’immigrés d’accroître leur autonomie.

Sarkozy affirme que la France peut se passer de l’Afrique
La France a de moins en moins besoin du marché africain en termes économiques. Simplement, il y a une proximité humaine et historique qui non seulement crée des devoirs mais force à constater des solidarités géographiques. Le Canada, qui a développé l’immigration choisie, peut se permettre cette politique pour cause d’éloignement. Le Canada n’a pas besoin de l’Afrique. La France, si. De toute façon, les Africains continueront à venir chez nous. Aucun mur dressé, aucune armada, aucun requin ne pourra arrêter quelqu’un qui n’a qu’un seul espoir : aller vers le Nord. Cela dit, je crois à l’avenir de l’Afrique.

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