Une « espionne » au Congrès

Publié le 28 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

Une fois par an, au moins, les compatriotes de Mouammar Kadhafi sont invités à se prononcer sur la politique du gouvernement et les problèmes de la vie quotidienne dans le cadre des Congrès populaires de base, ces organes consultatifs qui sont un peu le symbole de « démocratie directe » à la libyenne. Les réunions se tiennent chaque jour de 16 à 18 heures, une ou deux semaines durant.
Dans une école située derrière le Souk el-Rachid, à Tripoli, les responsables du quartier attendent leurs ouailles. Les femmes au rez-de-chaussée, les hommes au premier étage… Il est 16 h 30 quand une femme ronde vêtue de noir s’assoit à la place de l’instituteur et entame la lecture à haute voix d’un rapport sur un projet de chemin de fer. Un quart d’heure plus tard, un journaliste fait son entrée et enregistre la séance. Assis à leurs tables d’écoliers, femmes et enfants écoutent studieusement, tandis que le journaliste regarde sa montre. « La discussion est ouverte », annonce l’oratrice. Deux mains se lèvent Quelques brefs commentaires et l’on passe au vote, à main levée. Acquiescement général.
À l’étage, la séance a commencé plus tardivement. Les hommes, me dit-on, sont généralement moins assidus et ne remplissent qu’une seule salle. La plupart sont modestement vêtus. Ils ont l’air fatigués, usés. La moyenne d’âge doit avoisiner 60 ans. L’ordre du jour est des plus délicats : « 2 211 agents de l’État ont commis des actes illicites ; 1 727 d’entre eux ont conclu des contrats fictifs avec des sociétés, volé de l’argent, fait de fausses déclarations » Des gens entrent, d’autres sortent. Imperturbable, le responsable de quartier poursuit : « Dans plusieurs universités, des employés ont menti au fisc Des associations ont octroyé de faux permis pour récupérer du fer dans des usines d’État et le revendre au marché noir »
Sous son kambous noir, le couvre-chef local, un vieil homme trépigne. Quand vient l’heure du débat, il explose : « Selon la loi n° 10, les directeurs de sociétés publiques sont tenus de déclarer leur fortune et d’expliquer la manière dont ils l’ont acquise avant le 31 décembre 2006… » Son corps est malingre, mais sa voix ferme. Il enchaîne : « Le colonel Kadhafi a fait la Révolution pour le peuple, il en faut une autre pour punir les voleurs ! » Il brandit sa canne, tandis que son visage s’empourpre. Tonnerre d’applaudissements.
D’autres lui succèdent. « Nous avons des hôpitaux, dit l’un, mais leurs directeurs volent les équipements et les médicaments pour leurs cliniques privées ! Mon frère est allé se faire soigner en Tunisie : son médecin était libyen ! Il faut payer ces gens-là davantage pour qu’ils restent en Libye »
Posément, le responsable reprend la parole. « L’État a octroyé des crédits aux jeunes et délivré des permis de construire : 40 000 logements sont prévus à Tripoli et Benghazi. » « On attend toujours ! l’interrompt quelqu’un. Beaucoup de gens construisent des maisons. D’où sortent-ils cet argent ? On veut savoir ! » Il est interrompu par la sonnerie de son portable. Le vieil homme du début enchaîne : « Le gouvernement vient d’accorder à l’Égypte une aide de 1 milliard, c’est le milliard du peuple ! » La discussion dure une demi-heure. Avant de partir, un homme interroge mon voisin en me regardant fixement : « C’est une espionne ? »
À l’extérieur, les commerçants du souk affectent l’indifférence. « Tout ça, c’est du bla-bla », tranche abruptement l’un d’eux. « Avant, on était obligés d’y aller et de donner son nom, ou alors, il fallait fournir une très bonne excuse, se souvient Ali, 42 ans, marchand d’or dans la Médina. Aujourd’hui, c’est plus relax, mais rien n’a vraiment changé : on parle, on parle, mais à quoi bon puisque tout est décidé en haut lieu. »

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