Pourquoi l’abbé Pierre

Publié le 28 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

Il est parfois d’étranges cas de conscience. Après avoir lu des tonnes d’articles sur l’abbé Pierre, décédé à Paris, le 22 janvier, et auquel la France a rendu un hommage national le 26, on aimerait, en tant que journaliste, introduire quelque note discordante dans le concert de louanges qui a accompagné la disparition du vieux prêtre de 94 ans. Les portraits se suivent, enchaînant ses faits d’armes, de la Résistance aux derniers combats en faveur des sans-abri et des mal-logés, en passant par ses réalisations sur le continent africain (voir p. 34). Sans oublier, bien sûr, l’aventure des chiffonniers d’Emmaüs, qu’il a ainsi caractérisée : « Une récupération d’hommes à l’occasion de récupération de choses. »
Romanesque comme il n’est pas possible, la vie de ce fils de riches industriels devenu l’avocat des pauvres a été relatée en long et en large. Moine, aumônier de maquis puis de la marine, député, penseur religieux, prophète mystique, tribun populaire, sauveteur de malheureux à la dérive, familier des stars du show business, Henri Grouès, de son vrai nom, fut tout cela, successivement ou à la fois.
Plus on fouille dans son parcours, plus il en devient sympathique, parce que totalement humain. Il avait fait du ski et de la moto. On apprend qu’il aimait bricoler et s’était mis à l’informatique à plus de 80 ans. En outre, s’il vivait au quotidien dans le plus grand dépouillement, il appréciait à l’occasion la bonne chère. Il n’avait rien de ces missionnaires mortifiants qui, se privant des plaisirs d’ici-bas, voudraient les refuser aux autres. La remarque s’applique à l’amour charnel. L’abbé Pierre a reconnu qu’il y avait parfois succombé, malgré son vu de chasteté.

On relit ses déclarations, et, entre ses coups de gueule contre l’égoïsme des puissants et ses sorties contre Jean-Marie Le Pen, on est frappé par leur pertinence souvent synonyme d’impertinence.
Sa popularité devait beaucoup à l’habileté avec laquelle il savait utiliser les médias. Mais pas seulement. Son génie a été de réconcilier toutes les composantes spirituelles de la France. Pour les catholiques, les vrais, il incarnait la quintessence de leur foi, perpétuant la geste du Christ se sacrifiant pour le salut des hommes. Les traditionalistes pouvaient s’agacer des libertés qu’il prenait avec le dogme, mais, au fond, ils lui étaient reconnaissants de porter haut et fort les couleurs de leur Église. Aux yeux des agnostiques comme des plus anticléricaux, le religieux s’effaçait derrière le rebelle. Il a même mis les musulmans dans sa poche, non seulement parce que nombre de leurs coreligionnaires bénéficient de ses uvres, mais aussi parce qu’il a entrevu avec lucidité l’injustice faite aux Palestiniens.
Le paradoxe a été maintes fois souligné ces derniers jours : moins les Français allaient à la messe, plus ils aimaient l’abbé Pierre. C’est qu’il faisait ressortir un fond chrétien enfoui quelque part chez la majorité d’entre eux. Avec son béret, sa cape et sa foi chevillée au corps, il évoquait une époque où l’Église, certes, régnait sur les esprits et imposait sa charia – mariage, sexualité, tout était balisé -, mais, avec ses fêtes, son décorum, donnait une saveur particulière à leur vie quotidienne.

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D’un autre côté, les paroles et les engagements du prêtre le situaient complètement dans la modernité. Sur l’ordination des femmes, la contraception, l’homosexualité, mais aussi sur les droits de l’homme, tous les droits de l’homme, il épousait les aspirations de son temps. Plus important, peut-être, il ne réduisait pas sa démarche à la mobilisation individuelle et à l’assistance humanitaire, caractéristiques de l’action caritative traditionnelle. Pour lui, la loi devait protéger les faibles. En ce sens, il se situait indéniablement dans le camp progressiste, pour ne pas dire socialiste.
À beaucoup qui n’ont pas été nourris des Évangiles, le « pape des pauvres » a souvent donné l’envie de découvrir le message du Christ et d’inscrire leur existence dans la voie morale et spirituelle qu’il a tracée. C’est un autre ecclésiastique évoluant lui aussi en marge de l’institution, Mgr Jacques Gaillot, qui a probablement eu la plus belle formule : « Il avait foi en l’homme. C’est plus difficile que d’avoir foi en Dieu. »

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