Moscou dégaine

Pour la première fois depuis 1998, la Russie devance les États-Unis en termes de ventes aux pays en développement.

Publié le 28 janvier 2007 Lecture : 5 minutes.

Au petit jeu subtil des luttes d’influence, les États-Unis ont essuyé un revers qui a dû faire jaser au Pentagone. D’après le rapport du Congrès sur le commerce des armes avec les pays en développement en 2005, Washington est le troisième fournisseur du Tiers Monde en chars, avions de combat, hélicoptères, missiles et autres pièces d’artillerie de l’espèce des « armes conventionnelles » (par opposition aux armes biologiques, chimiques et nucléaires). Pour la première fois depuis 1998, l’Amérique n’est plus le principal marchand d’armes dans les pays du Sud. Son fauteuil attitré est désormais occupé par la Russie, que le département d’État et le Pentagone se sont employés, pendant les années de guerre froide, à tenir à distance de leurs prés carrés et qui, aujourd’hui, pactise volontiers avec quelques « États voyous ». En 2005, Moscou a absorbé 23,2 % des commandes passées par les pays en développement (30,2 milliards de dollars au total), contre 20,9 % pour la France et 20,5 % pour les États-Unis. Ces derniers continuent cependant de tenir la corde pour les livraisons – des commandes passées il y a plusieurs années -, avec 45,8 % du total en 2005, contre 15,2 % pour la Russie.
Le document du Congrès mesure également, en dollars, le rôle des grandes puissances traditionnelles – Russie, France, Royaume-Uni -, mais aussi émergentes – Chine et Inde – et de leurs clients dans ce commerce si stratégique. En 2005, le total des commandes a atteint son plus haut niveau en huit ans : 44,2 milliards de dollars, soit 10,5 % de plus qu’en 2004. Les pays en développement sont toujours les premiers acheteurs : 66,8 % des commandes. En un an, leur demande s’est accrue de 16 %, tandis que celle du Nord a quasiment stagné.
Mais, vu de Washington, le Tiers Monde est vaste et pour le moins hétéroclite – « la catégorie inclut tous les pays hormis les États-Unis, la Russie, les nations européennes, le Canada, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande », explique le rapport. Les dix premiers clients ont passé plus de 72,6 % des commandes du Sud. Et le trio de tête – Inde, Arabie saoudite et Chine – a assuré 38 % du total. Bref, l’augmentation de la demande du Tiers Monde est le fait de quelques grands pays désireux de l’être plus encore. Les autres, sous l’effet de la flambée des prix du pétrole et du manque de ressources, ont limité leurs dépenses ou se sont contentés de moderniser leur artillerie.
Tel n’est pas le cas de l’Inde, dont les achats ont augmenté de 65 % entre 1998-2001 et 2002-2005, et qui est, de loin, le client numéro un du monde en développement : en 2005, ses commandes, dont la majeure partie a été passée avec Moscou, se sont élevées à 5,4 milliards de dollars, contre 3,4 milliards pour Riyad, numéro deux. Depuis la guerre du Golfe, l’Arabie saoudite figure dans le top 10 des acheteurs. Mais son rang dans le classement 2005 ne reflète pas sa position ces huit dernières années puisqu’elle est devancée par les Émirats arabes unis, qui ont passé 14,6 % du total des commandes. Le Moyen-Orient reste un pré carré américain : sur la période 2002-2005, les États-Unis ont reçu 50,2 % des commandes de la région, contre 12,2 % pour la Russie. La Chine, elle, s’est équipée pour 2,8 milliards de dollars en 2005. Son principal fournisseur : la Russie.
Le Venezuela et le Brésil occupent respectivement les cinquième et neuvième places du classement des dix premiers acheteurs – 1,9 milliard de dollars et 900 millions respectivement. Leur présence est toutefois récente : ils sont absents du top 10 de la période 1998-2005, éclipsés par Taiwan, Israël et la Corée du Sud. Mais c’est à la faveur des commandes passées antérieurement que ces trois derniers se maintiennent au palmarès des huit dernières années. Si on ne tient compte que de 2005, ils sont distancés, signe d’une redistribution des cartes Quant à l’Amérique latine, elle signe l’essentiel de ses contrats avec l’Europe et les États-Unis (respectivement 52 % et 31 % entre 2002 et 2005).
L’Afrique du Sud ferme la marche des dix premiers acheteurs. Ses commandes – 800 millions de dollars en 2005 – ne représentent que 2,6 % du total du monde en développement. Pretoria – le seul représentant africain du top 10 – réussit néanmoins à se faire une place (l’avant-dernière) dans le palmarès 1998-2005.
Si la Russie est devenue le premier fournisseur, c’est, selon Washington, parce qu’elle sait se montrer « arrangeante ». Menacée de déclin après l’éclatement de l’Union soviétique, la puissance russe est prête à tout pour maintenir son influence dans le monde en développement, notamment en ayant recours aux effacements de dette et aux compensations (une sorte de paiement en nature lorsqu’un client ne peut débourser des espèces sonnantes et trébuchantes). La parade a séduit le Vietnam, l’Indonésie et la Malaisie, la Chine et l’Inde étant déjà sous le charme de Moscou. Résultat : l’Asie est le principal marché de la Russie. Il n’est toutefois pas le seul. Le Kremlin a vendu des avions de combat au Yémen et à l’Algérie, ainsi que des hélicoptères au Venezuela. Les emplettes de Caracas dans le supermarché russe suscitent d’ailleurs l’inquiétude du Congrès : le « populiste Hugo Chávez » manifeste « une approche hostile des relations avec les États-Unis », lit-on dans le rapport.
Autre « source d’intérêt croissant », l’Iran, qui a signé, en 2005, avec la Russie des contrats pour un système de défense (d’une valeur de 700 millions de dollars) et pour la modernisation des chars et des avions de combat. Bref, Moscou s’acoquine avec l’axe du mal Mais, à en croire le Congrès comme les spécialistes de l’armement, sa domination pourrait faire long feu, les dépenses consacrées à la recherche et développement étant trop faibles.
La position de Washington est plus pérenne. Les majors américaines dépensent d’énormes sommes pour toujours plus de sophistication, et leurs clients sont nombreux. En 2005, l’Arabie saoudite, l’Égypte, le Koweït, les Émirats, Israël et le Pakistan figurent sur leur carnet de commandes. Des acheteurs multiples qui compensent les montants en jeu, rarement faramineux – 740 millions de dollars avec Riyad, 183 millions avec Le Caire, 281 millions avec Islamabad.
Produits basiques et high-tech, partenaires multiples : les quatre grands armuriers européens – la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie – occupent un large créneau qui leur permet d’être présents partout. S’ils dominent le marché africain – 31 % de parts ces huit dernières années -, ils se sont taillé une position honorable sur tous les autres terrains : 19 % de parts de marché en Asie, 22 % au Moyen-Orient et 10 % en Amérique latine (contre 9 % et 8 % pour Moscou sur les deux derniers marchés respectivement). Entre 2004 et 2005, les géants du Vieux Continent sont montés en puissance dans le commerce avec le monde en développement : leur part de marché est passée de 22,3 % à 34,1 %. Avec plus de 60 % des commandes, la France domine nettement. Les quatre grands du Vieux Continent ont « concurrencé avec succès les États-Unis [] et la Russie », reconnaît le Congrès.

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