Au cur de la crise

Publié le 28 janvier 2007 Lecture : 6 minutes.

Les syndicalistes ont – au moins en partie – obtenu gain de cause. Le président Lansana Conté a fini par accéder, après quinze jours de grèves, ponctuées de violentes répressions, à l’une de leurs principales revendications : la nomination d’un Premier ministre, chef du gouvernement. Les négociations entre syndicalistes et représentants des institutions nationales vont commencer. Elles ne mettent pas fin pour autant à la grève générale qui dure depuis le 10 janvier. Et chaque jour qui passe apporte son lot de révélations sur le comportement du pouvoir, comme l’attestent de nombreux témoignages.
Mamadouba est né dans une famille soussoue à Coronthie, un quartier pauvre du centre-ville de Conakry. Ce jeune homme de 21 ans n’a ni qualification ni emploi. Le 17 janvier, il a été approché par une personne se présentant comme un émissaire d’Ousmane Conté, capitaine de l’armée et fils du chef de l’État. « Cette grève a été déclenchée par la Peule Hadja Rabiatou Sérah et le Malinké Ibrahima Fofana parce qu’ils ne veulent pas d’un Soussou au pouvoir, fait-t-il comprendre. Si Lansana Conté est renversé, les autres ethnies vont nous dominer et nous brimer. Nous avons besoin de jeunes de notre région pour nous défendre. » L’émissaire lui remet 200 000 francs guinéens (FG) et une matraque. Puis lui fixe un rendez-vous dans l’une des villas de la Cité des nations, le quartier général de la milice qui s’est donné pour mission la « défense des institutions ».
Mamadouba fait partie de ces jeunes qui ont servi de supplétifs aux forces de l’ordre et permis de localiser les domiciles des centaines de « fauteurs de troubles » au cours de la sanglante journée du 22 janvier, qui a fait une soixantaine de morts, dont 4 enfants, et près de 150 blessés. Les révélations de ce jeune « contre-manifestant » sont terrifiantes. Selon lui, la milice d’Ousmane Conté, chapeautée par quelques éléments soussous du Bataillon autonome de la sécurité présidentielle (Basp), agit comme un véritable escadron de la mort. Informé de l’existence de cette patrouille, le chef d’état-major adjoint de l’armée, Arafan Camara, alerte le président Conté : « J’ai été averti d’exactions perpétrées par des hommes qui agiraient sous les ordres de votre fils. Il faut que ces agissements cessent avant que la crise ne s’aggrave. » Pendant ce temps, le général de brigade Kaba 43 Camara ordonne au lieutenant-colonel Mounié Donzo, du Bataillon spécial de la sécurité présidentielle (Basp), d’empêcher les hommes d’Ousmane Conté d’agir. La haute hiérarchie militaire n’apprécie guère la montée en puissance du rejeton du chef de l’État. Lequel se défend, arguant du fait que lors de cette fameuse journée du 22 janvier il n’était pas à Conakry, mais à l’intérieur du pays.
N’empêche, selon Mamadouba, la nuit, pendant que la capitale dort, la milice sillonne les quartiers, pénètre par effraction dans des domiciles privés, arrête des « suspects » et les conduit manu militari à Koundara, un centre de détention illégal, à l’abri des regards indiscrets, situé derrière le siège de la Radiotélévision guinéenne. « Dans la matinée du 23 janvier, cinq jeunes ont été extraits de leur cellule et conduits vers une destination inconnue à bord d’un pick-up blanc bâché, nous confie Mamadouba. Parmi eux, il y avait un de mes anciens camarades de classe, Mamoudou Keïta, qui habite Matam, dans la proche banlieue de Conakry. Il n’est toujours pas rentré chez lui. »
En silence, hors de portée des regards et des caméras, la milice semble mener une « guerre de l’ombre ». Soldat formé sur le tas, ayant très vite gravi les échelons de la hiérarchie, Ousmane Conté ne jouit pas d’une excellente réputation. Éclaboussé par des « affaires » pour le moins compromettantes (facilitation de délits douaniers, trafics d’influence, extorsion de fonds), il a été plus d’une fois contraint par son père de s’éloigner du pays. Il s’est notamment rendu au Canada pour y suivre une cure de désintoxication à l’alcool. Ce quadragénaire, qu’on dit frustré de n’avoir été que peu ou pas scolarisé, semble vouloir prendre une revanche sur le passé. Chef de file de la répression, il bénéficie de l’appui des hommes de la Compagnie mobile d’intervention et de sécurité (CMIS) et de l’unité d’élite de la gendarmerie, respectivement commandées par le directeur national de la police, Mohamed Sékouba Bangoura, et le chef d’état-major de la gendarmerie, le général Jacques Touré. Deux proches du chef de l’État, responsables de la violente répression des manifestations dans les quartiers de la banlieue de Conakry (Bambéto, Enta, Kissosso, Matam) ainsi que dans de nombreuses villes de l’intérieur du pays.
Le repli de Conté sur sa famille et ses fidèles paraît comme sa seule parade contre la grève générale et illimitée déclenchée le 10 janvier par la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG) et l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG). Dans ce cercle restreint, la première dame, Henriette Conté, s’impose de plus en plus. Autrefois cantonnée à un rôle purement protocolaire, elle est aujourd’hui fortement impliquée dans le règlement de la crise. Le 23 janvier, c’est elle qui reçoit les leaders syndicaux pour leur demander de reprendre un dialogue rompu. La veille, elle a obtenu de son mari la libération de Hadja Rabiatou Sérah et d’Ibrahima Fofana, les deux dirigeants du mouvement arrêtés au cours de la très chaude journée du 22 janvier. C’est encore elle qui a su mettre fin à la guerre qui opposait le patron des patrons, Elhadj Mamadou Sylla, proche parmi les proches du chef de l’État, à l’ancien homme fort du régime, Fodé Bangoura, tout-puissant ministre des Affaires présidentielles limogé le 19 janvier.
D’ordinaire rétif à toute discipline, Lansana Conté semble aujourd’hui bien encadré, confiné et isolé. Depuis le 20 janvier, quand il a été hué par des jeunes de Boulbinet (un quartier du centre-ville de la capitale) alors qu’il revenait d’une visite au domicile d’Elhadj Mamadou Sylla, le chef de l’État est revenu s’installer dans sa résidence du camp Almamy Samory Touré. Ses rares sorties sont minutées et longuement préparées.
Le pouvoir fait preuve de prudence depuis que des émeutiers ont attaqué les domiciles du président de l’Assemblée nationale, Aboubacar Somparé, du ministre d’État chargé de l’Enseignement supérieur, Ahmed Tidiane Souaré, et du chef de l’état-major de l’armée, Kerfalla Camara. À Conakry, des manifestants font courir le bruit que Lansana Conté, effrayé par le spectre d’un coup d’État, aurait bénéficié du secours d’un corps expéditionnaire envoyé de Guinée-Bissau par son homologue et ami, João Bernardo Vieira. Ce que Bissau a officiellement démenti dès le 23 janvier.
Outre le bâton, le clan Conté joue la carte de l’attentisme afin de sauver ce qui reste de son pouvoir. Pour contraindre les Guinéens à reprendre le travail, Conté louvoie avec les leaders syndicaux, tente d’influencer les plus fragiles, mise sur l’épuisement du stock de nourriture des ménages et sur le renchérissement des produits de première nécessité. Le prix du sac de riz est passé de 115 000 à 250 000 FG Le quotidien est de plus en plus éprouvant dans la capitale, au point que les manifestants disent ne plus rien avoir à perdre. « Je n’ai pas peur parce que je suis déjà mort, crie un jeune homme qui vient d’échapper de peu à l’explosion d’une grenade lacrymogène, le 23 janvier. L’armée tire sur des cadavres. Les Guinéens ne mangent pas, ne travaillent pas et souffrent le martyre. »
Face à la vive réaction de la communauté internationale, le régime fait la sourde oreille. Réunie en sommet à Ouagadougou le 20 janvier, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a décidé de lui envoyer des émissaires : les présidents nigérian, Olusegun Obasanjo, et sénégalais, Abdoulaye Wade. Avant de se rendre à Conakry le 24 janvier, Obasanjo et Wade ont plusieurs fois tenté de le contacter par le biais du ministre des Affaires étrangères, Mamady Condé. « Je ne veux voir ni parler à personne, a répondu le président. Le problème est guinéo-guinéen. Je n’accepte pas que des hypocrites viennent s’en mêler. » Le président n’a pourtant pas eu d’autre choix que de céder.

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