Lotfi Double Kanon

Publié le 27 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Sa célébrité, Lotfi ne la doit pas à une quelconque découverte minière, mais à son rap. Il s’essaie à ce genre musical en 1996, en préparant sa thèse à l’université d’Annaba. Ces années-là, l’Algérie ne figure pas parmi les pays où il fait bon vivre. À la violence islamiste s’est greffé un plan d’ajustement structurel au coût social particulièrement dramatique. Le jeune étudiant décide de crier son mal-être et celui de ses congénères : avec Wahab, il crée Double Kanon et se produit devant un public d’initiés et de rares amoureux de R’n’B. Faute de moyens, la maquette de son premier disque n’a rien pour plaire. Mais ses textes détonnent.

Le héros de ses « histoires naturelles, sans dopage ni s’hour (« sortilèges ») », est le zawali, terme consacré pour désigner le pauvre bougre, marginal ou laissé-pour-compte. Lotfi fait du rap comme d’autres font du journalisme. Ses textes alternent témoignages et descriptions, caricatures et analyses. Le propos est simple, mais truffé de références littéraires, scientifiques et parfois géostratégiques. Sans fausse modestie, il se présente comme un mélange de Moufdi Zakaria (auteur de Kassamen, l’hymne national algérien), d’Ibn Khaldoun et de Moutanabi, poète du temps de la splendeur des Arabes. Plus universaliste que chauvin, il se réclame d’Aristote, de Darwin et de Picasso. Son cocktail de « poésie technologique » se veut sans complaisance et reflète les fléaux oubliés des journaux télévisés : la drogue, la prostitution, la délinquance et l’enfance violée.

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Mais les éditeurs, plus commerçants que producteurs, sont obsédés par la vague raï, cette musique si facile à écouler, contrairement au « hip-hop sauce locale ». Autre difficulté pour Lotfi : il n’a pas l’exclusivité du zawali. L’Algérie de la fin des années 1990 compte plus de mille groupes de rap. Tous s’inspirent du même quotidien fait de misère sexuelle, d’avenir incertain et de présent ennuyeux et dangereux. Au milieu de ces cris de détresse, la plume de Lotfi le singularise. Sa verve satirique allie le trait juste au réalisme le plus cru. Le propos sait être poignant, sans mise en scène : ainsi naît la « Lotfilosophie », ce regard qui cumule précision et recul. Le géologue devenu psychothérapeute de groupe fait oeuvre novatrice. Avec une étonnante prolixité.

De 1997 à 2005, Lotfi sort quinze albums. Il a tellement à dire ! Tout y passe : des ripoux de la politique aux tartuffes du salafisme et aux affairistes véreux. Il tourne en dérision un ancien chef d’État (Chadli Bendjedid), mais sans citer son nom, tout en faisant en sorte d’être compris de ses auditeurs. Il fustige le bigot dont la vague fatwa pousse un zawali barbu à bousiller sa vie en l’enlevant à un autre zawali, imberbe et policier, car le vote était m’derah, « trituré ». Il crie sa haine aux ouled klab, ces fils de chien qui ont fait de l’Algérie un terrain de jeu où ils cumulent le rôle de pyromane et celui de pompier. Il fait dans la pédagogie, explique à ses fans l’après-11 Septembre, préfère le kamikaze au cobaye et raconte les histoires, toujours naturelles et sans dopage, de ceux qu’il a croisés quelques heures, le temps d’une garde à vue. Ses déboires avec la justice ? Au tout début de sa carrière, en 1996 à Annaba, un de ses concerts avait été brutalement interrompu par la police. Depuis, sa notoriété l’a doté d’une sorte d’immunité. Son propos est tellement « vrai » que nul magistrat ou censeur bien pensant n’ose s’attaquer à ses oeuvres.
En Algérie, un pays plus conservateur qu’on ne pense, Lotfi est sans doute le seul chanteur de rap qu’on peut écouter en famille. D’est en ouest, du nord au sud. Régulièrement programmé dans les émissions musicales des radios algériennes, Lotfi est devenu une icône.

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