Le mal russe

Quarante-cinq étrangers – Subsahariens, Asiatiques, Caucasiens et même Hispaniques – ont été tués par des skinheads ou des néonazis en 2004. Leurs assassins restent le plus souvent impunis.

Publié le 27 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Longtemps, les skinheads, ces voyous racistes qui prolifèrent dans les grandes villes russes, s’en sont pris prioritairement aux Caucasiens, ces éternels boucs émissaires que la guerre en Tchétchénie n’a certes pas contribué à rendre plus populaires – surtout depuis la tuerie de Beslan, en octobre 2004. Ensuite, le tour est venu des Subsahariens et des Chinois, aisément repérables à la couleur de leur peau ou à leurs yeux bridés. Désormais, ils prennent pour cible tout étranger qui n’a pas l’apparence d’un Slave.
Début octobre, deux Péruviens et un Espagnol ont fait les frais de leur folie meurtrière. Étudiants à Voronej, dans le sud de la Russie, ces jeunes gens prenaient l’air entre deux cours en compagnie d’amis russes. Armées de gourdins et de couteaux, une vingtaine de brutes au crâne rasé ont fait irruption, roué de coups les Hispaniques et épargné soigneusement les Russes. Figés par la peur, les témoins ont assisté, impuissants, au massacre. Lorsque les secours sont arrivés, il était déjà trop tard. Enrique Anjeles (18 ans) est décédé pendant son transfert à l’hôpital. Ses deux compagnons s’en sont tirés, si l’on peut dire, avec de graves blessures à la tête.
Les faits divers de ce genre sont aujourd’hui légion en Russie, où Amnesty International a recensé, l’an dernier, pas moins de quarante-cinq crimes racistes. Portés par un nationalisme aussi radical qu’agressif, les groupes de néo-nazis – qui regrouperaient environ cinquante mille membres, dans quelque quatre-vingt-cinq villes – ne se contentent plus de dévaster des lieux de culte ou des cimetières juifs. Ni même de harceler les « métèques ». Ils lynchent méthodiquement leurs victimes au cri de « la Russie aux Russes ». On n’en finirait plus de dresser la liste de leurs exactions. En voici quand même quelques exemples.
Le 30 janvier dernier, Antonique Homer, un étudiant en architecture de nationalité bissauguinéenne, est sauvagement battu par des hooligans… Le 15 juillet, deux jeunes Chinois subissent le même sort… Ces trois-là s’en sont sortis vivants, mais tous n’ont pas cette chance, telle cette fillette tadjike (9 ans) frappée de onze coups de couteau dans la poitrine en février 2004. Ou cet étudiant syrien poussé, un mois plus tard, sur la voie du métro de Saint-Pétersbourg et écrasé par un train. Ou ce jeune Libyen battu à mort, en juin de la même année. Ou encore, en octobre, cet étudiant vietnamien poignardé par des loubards…
Le plus souvent, les attaques, qui ne durent que quelques minutes, ont lieu en plein jour. Parfaitement organisés, les skins n’opèrent qu’en groupe, toujours de la même façon : une partie de la bande prend part au passage à tabac, tandis que l’autre neutralise les témoins. En septembre 2004, par exemple, ils étaient une cinquantaine à « chasser le bougnoule » dans le métro de Moscou. Tandis que quatre d’entre eux massacraient consciencieusement des passagers d’origine caucasienne, les autres empêchaient les voyageurs d’intervenir ou d’alerter le machiniste.
Ces crimes restent le plus souvent impunis. Les policiers rechignent tellement à enquêter qu’on soupçonne la majorité d’entre eux d’être tacitement d’accord avec les agresseurs. Lorsqu’il arrive que des skins soient néanmoins arrêtés, il est très rare qu’ils soient inculpés de meurtre et que le parquet retienne le mobile raciste. On fait semblant de croire à de simples « incidents » entre hooligans et jeunes étrangers…
Quant aux autorités politiques, elles s’efforcent de minimiser la gravité de cette vague raciste, préférant parler de simple xénophobie… Selon le sociologue Mark Ournov, un ancien conseiller de Boris Eltsine, le Kremlin a beaucoup contribué au développement du phénomène en encourageant la « nostalgie impériale » – qu’il s’agisse de l’Empire des tsars ou de celui des soviets – et en flattant les « sentiments anticaucasiens et antioccidentaux » d’une large fraction de la population.
Rares sont les voix à s’élever pour dénoncer les crimes racistes. Surtout depuis la disparition de Nikolaï Guirenko, le fondateur du Centre pour le respect des minorités. Ce défenseur des droits de l’homme avait, à plusieurs reprises, tenté d’alerter l’opinion sur le danger que représente la prolifération des groupes néonazis et bandes de skinheads. Le 19 juin 2004, il a été abattu à son domicile de Saint-Pétersbourg. Sans doute par ceux-là mêmes qu’il s’évertuait à combattre…
Une timide prise de conscience serait-elle néanmoins en cours ? Au mois de février dernier, trois jeunes skinheads qui avaient tué à l’arme blanche Antonio Amaru Limza, un étudiant en médecine bissauguinéen, ont été reconnus coupables de meurtre à caractère raciste et condamnés à des peines allant de neuf ans à dix-sept ans d’emprisonnement.

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