La dérobade

Publié le 27 novembre 2005 Lecture : 2 minutes.

Pour la deuxième fois en moins de cinq ans, la justice sénégalaise a donc fait le constat de sa propre impuissance à résoudre le « cas » Habré. Incompétent pour juger l’ancien dictateur, le tribunal de Dakar l’est aussi pour décider de son extradition : on ne saurait mieux définir l’embarras, mais aussi le manque de courage politique avec lequel est traité ce dossier depuis le début. La non-décision de la cour d’appel a été précédée (préparée ?) d’une campagne de la part de personnalités du pouvoir ou de l’opposition, de religieux et d’intellectuels sénégalais hostiles à toute perspective de « livraison » de Hissein Habré à la justice belge. Son caractère transversal, ainsi que la bonne foi de certains des défenseurs de cette thèse, méritent que l’on s’y arrête. Selon eux, ce n’est pas à une juridiction du Nord, qui plus est d’un ancien pays colonisateur comme la Belgique, de décider du sort d’un ex-chef d’État africain : affaire de souveraineté, de fierté panafricaine, de mémoire assumée, refus aussi du « deux poids, deux mesures » – qu’ils commencent par juger les leurs, nous jugerons les nôtres. Pourquoi pas, en effet ?
Le problème est que, en l’état actuel des choses, la contrepartie de ce type d’attitude n’est ni plus ni moins que l’impunité indéfinie. Si Hissein Habré n’est pas jugé en Belgique, où rendra-t-il des comptes ? Au Sénégal ? C’était – on l’oublie trop souvent – l’idée de départ des familles de ses victimes. Mais la justice s’est dérobée. Au Tchad ? Outre le fait que, quoi qu’il en dise, le président Déby n’a toujours pas formulé de requête formelle d’extradition, il est évident que les conditions d’un procès impartial n’y seraient absolument pas réunies. Par un tribunal international siégeant sur le continent, du type de ceux qui ont été mis en place pour le Rwanda et la Sierra Leone ? On voit très mal la communauté des nations et l’ONU avoir la volonté politique – et surtout financière – nécessaire pour exhumer un dossier de violation massive des droits de l’homme vieux de plus de quinze ans et qui n’a jamais ému les médias. Il reste deux solutions. Tout d’abord que le gouvernement belge aille jusqu’au bout de sa logique et, arguant de la Convention contre la torture de 1984, que le Sénégal a ratifiée, saisisse la Cour internationale de justice de La Haye. Bruxelles jugera-t-il que le jeu en vaut la chandelle, en l’occurrence une crise diplomatique avec Dakar ? Rien n’est moins sûr. Autre possibilité, aussi salutaire qu’aléatoire : la prise en charge du dossier Habré par une Cour africaine de justice, liée d’une manière ou d’une autre à l’Union africaine. Mais il faudrait pour cela l’accord, hautement improbable, de ceux qui apparaissent comme les plus fervents défenseurs de Hissein Habré, à savoir la plupart de ses ex-pairs de la corporation des chefs d’État. Rien de pire pour eux, en effet, que la jurisprudence d’une extradition. Et rien de plus réconfortant que le sourire d’un dictateur déchu recouvrant sa liberté au soir de ce triste vendredi de novembre.

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