« La démocratie a un coût »

Le président Azali Assoumani attend beaucoup de la générosité de la communauté internationale.

Publié le 27 novembre 2005 Lecture : 7 minutes.

Des institutions rénovées, un environnement politique apaisé, des relations avec les bailleurs de fonds assainies Arrivé au pouvoir par les armes le 30 avril 1999 et légitimé par les urnes le 14 avril 2002, le président comorien Azali Assoumani considère avec satisfaction le chemin parcouru. Ancien parachutiste devenu chef d’état-major, cet homme de caractère s’était fixé pour objectif de régler pacifiquement la crise séparatiste anjouanaise en entamant des pourparlers directs avec les rebelles. Des accords-cadres signés à Fomboni, le 17 février 2001, à l’élection du chef de l’État, le 14 avril 2002, en passant par l’adoption de la Constitution de l’Union des Comores par référendum, le 23 décembre précédent, le président de la République a su négocier avec adresse les différentes étapes du processus de réconciliation nationale. Malgré les imperfections de la méthode choisie le consensus , le processus a finalement reçu à la fois l’onction de la communauté internationale et celle de la classe politique nationale.
Certes, sans les multiples blocages institutionnels qu’il a connus, Azali aurait sans doute pu faire plus. Et mieux. Mais, à l’heure du bilan, il peut se targuer d’avoir réussi à relever les principaux défis qu’il s’était assignés. En cette fin d’année 2005, son pays dispose des atouts nécessaires à l’obtention d’un accord avec le FMI, ce qui permettrait enfin aux Comores de bénéficier d’un allègement significatif de leur dette extérieure. Dans le même temps, le chef de l’État est enfin parvenu à convaincre les bailleurs de fonds de la nécessité de soutenir la cause comorienne. Résultat attendu à Port-Louis le 8 décembre.

Jeune Afrique/L’intelligent : La Conférence des bailleurs de fonds en faveur de l’Union des Comores se tiendra le 8 décembre à Maurice. Qu’en attendez-vous ?
Azali Assoumani : Cette conférence annoncée en 2001 et confirmée en 2003 va enfin se tenir. Nous avons été déçus que la communauté internationale ait mis tout ce temps pour nous aider à la concrétiser, car le pays a besoin de moyens pour consolider la réconciliation nationale. Mais désormais, toutes les parties sont d’accord. Je tiens d’ailleurs à remercier l’Union africaine, l’Afrique du Sud et Maurice pour leur implication dans la préparation technique de cette rencontre. Et l’ensemble de la communauté internationale pour sa participation. Pour ma part, je vais rencontrer certains de mes pairs pour les sensibiliser à cet événement. Nous plaçons en lui beaucoup d’espoirs, car nous souhaitons capitaliser les succès que nous avons enregistrés sur le plan politique. Il est temps que la communauté internationale comprenne que les Comores ont tourné la page de l’instabilité. Et qu’elles se sont engagées dans la voie de l’État de droit et de la bonne gouvernance.
J.A.I. : Qu’en est-il de la lutte contre la pauvreté ?
A.A. : Il s’agit de satisfaire les besoins vitaux du pays. En 2000, le pays s’est engagé à atteindre les Objectifs du millénaire fixés par l’ONU pour l’horizon 2015. Depuis cette date, j’estime que nous avons effectué un parcours intéressant, mais notre progression a été limitée par le manque de moyens du pays. C’est pourquoi nous sollicitons l’aide de nos partenaires.
J.A.I. : Certains d’entre eux se sont montrés plus assidus que d’autres. Les pays arabes, par exemple, n’ont pas brillé par leur générosité
A.A. : La Ligue arabe ne nous a pas délaissés, puisqu’elle a débloqué un fonds de plusieurs millions de dollars en faveur des Comores. De la même manière, l’Arabie saoudite, l’Égypte et la Libye ont soutenu nos efforts. Maintenant, je suis convaincu que la balle est dans notre camp, et qu’il nous appartient de faire connaître notre pays et nos besoins. J’ai récemment accordé une interview à la chaîne Al-Jazira, et la diffusion de cet entretien a révélé le profond déficit d’image dont souffre l’Union des Comores dans le monde arabe. Nous rencontrons le même problème en Asie. Certes, nous avons des liens avec la Chine. Mais nous ne devons pas négliger nos relations avec le Japon, l’Inde ou la Malaisie
J.A.I. : Vous allez donc annoncer à vos partenaires que les Comores sont sorties d’affaire ?
A.A. : Tout à fait. Les gens doivent comprendre que notre pays, en dépit du manque de moyens dont il souffre, a parcouru un chemin considérable. Certes, nous aurions voulu faire mieux. Mais nos institutions fonctionnent, les assemblées travaillent et les lois sont normalement promulguées. Certains voudraient que nous allions plus vite. Mais je crois que l’essentiel est de rendre ce processus irréversible et de consolider ces bases.
J.A.I. : Le doute a longtemps plané sur le fonctionnement de la « tournante », un dispositif institutionnel qui prévoit que la présidence de l’Union soit assurée à tour de rôle par les trois îles. L’alternance se fera-t-elle dans les délais prévus ?
A.A. : Nous nous employons à les tenir, pour que l’élection présidentielle puisse avoir lieu comme prévu en avril 2006. Pour ma part, je pense avoir prouvé ma volonté de faire aboutir le processus électoral. J’ai convoqué l’Assemblée nationale en session extraordinaire pour faire adopter la loi relative à cette présidence tournante.
J.A.I. : Les lois organiques prévoyant le partage des compétences et des moyens entre les gouvernements des îles et celui de l’Union ont été adoptées. Mais leur application ne va pas sans poser des problèmes
A.A. : Certes, mais l’exercice budgétaire de l’année 2005 a été plus serein que celui de l’année précédente. Les conflits de compétence se sont apaisés et la répartition des recettes a fait l’objet d’un consensus entre les différentes entités.
J.A.I. : Vos adversaires accusent l’Union de capter l’essentiel des ressources au détriment des exécutifs insulaires. C’est notamment le cas d’Abdou Soulé el-Bak, président de l’île de Ngazidja
A.A. : On entendra toujours ce genre de propos. Mais il faut reconnaître malgré tout que le système fonctionne. On entend ici et là des rumeurs de détournement de fonds. Je ne peux pas vous assurer qu’il n’y en a pas, mais nous faisons tout pour les éviter. Et pour les punir. D’ailleurs, des responsables des douanes, des impôts et de la Banque centrale ont été poursuivis pour malversations.
J.A.I. : Les divergences entre votre gouvernement et les exécutifs insulaires semblent se focaliser sur la répartition des recettes publiques
A.A. : Chaque entité bénéficie de recettes propres et de recettes partagées. Pour ce qui est des recettes partagées, tout le monde connaît leur mode de répartition entre les institutions de l’Union des Comores et celles de chaque île. Il importe maintenant que chacun joue le jeu et respecte cette règle. Et que les recettes soient à la hauteur des objectifs fixés.
J.A.I. : La hausse du prix des hydrocarbures annoncée en septembre a provoqué des émeutes. Que comptez-vous faire pour éviter un dérapage inflationniste ?
A.A. : Nous allons automatiquement connaître une hausse des prix, mais nous allons tout mettre en uvre pour maîtriser cette inflation. Nous avons déjà pris des mesures d’accompagnement pour soulager la population et relancer la croissance et la consommation. Concrètement, nous avons réduit de 40 % les droits de douane sur un certain nombre de produits de consommation courante. Car, pour éviter que les conséquences de l’envolée des cours pétroliers soient trop lourdes à supporter, il nous faut impérativement élargir l’assiette fiscale tout en réduisant les taux d’imposition. L’efficacité de ces mesures devra être évaluée d’ici à un ou deux mois. Maintenant, les Comoriens doivent comprendre que la répercussion de la hausse des cours mondiaux des hydrocarbures est inéluctable.
J.A.I. : Un dérapage inflationniste risquerait-il de fragiliser la situation économique et financière du pays et de remettre en question votre éligibilité à une réduction de dette ?
A.A. : Il est vrai que la mévente de la vanille qui représente 40 % de notre PIB et la hausse des prix des produits pétroliers ont constitué un véritable coup dur pour nos finances publiques. Rappelez-vous que notre loi de finances 2005 a été préparée sur la base d’un baril à 30 dollars, alors que son prix moyen annuel est plutôt de 60 dollars. Malgré cela, les évaluations faites par les experts du FMI ont montré que nous étions sur la bonne voie, et la récente mission devrait confirmer cette tendance.
J.A.I. : Reste que les nouvelles institutions comoriennes sont particulièrement budgétivores
A.A. : Il est vrai qu’il nous faut rationaliser le fonctionnement de nos investissements. Sur ce sujet très spécifique, j’en veux un peu à nos partenaires. Quand nous avons mis ces structures en place, nous n’avions pas les moyens de les faire fonctionner. Aujourd’hui, les dépenses ont augmenté. Mais il ne s’agit pas de dépenses fantaisistes : la démocratie a un coût. Nous avons désormais quatre présidents, quatre gouvernements, quarante-cinq ministres, quatre Parlements et quatre-vingt-huit députés. Nous avons déjà fait des efforts pour rendre nos institutions plus efficaces. Mais nous comptons maintenant sur l’accompagnement de la communauté internationale et nous espérons reprendre une coopération soutenue avec le Fonds monétaire international. Dans cet objectif, la Conférence des bailleurs de fonds qui se tiendra à Maurice le 8 décembre prochain sera décisive.

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