Non à l’impunité !
La demande du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) d’émettre un mandat d’arrêt contre le président du Soudan pour des crimes commis au Darfour a donné lieu à une levée de boucliers. Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA), par exemple, « a réitéré la préoccupation de l’UA face à la mise en accusation abusive de dirigeants africains ».
La justice internationale vise-t-elle particulièrement les leaders africains ? L’affirmer, ce serait oublier les cas internationaux les plus symboliques, comme la détention d’Augusto Pinochet ou le procès de Slobodan Milosevic. Cette semaine encore, l’ex-président des Serbes de Bosnie Radovan Karadzic a été arrêté en vue de son extradition à La Haye. Et s’il est vrai que le procureur de la CPI enquête sur quatre conflits africains – en République démocratique du Congo, en Ouganda, en République centrafricaine et au Soudan -, ce sont les États eux-mêmes qui ont saisi la CPI pour les trois premiers et le Conseil de sécurité de l’ONU pour le quatrième. Quant à Charles Taylor, il est poursuivi par une cour spéciale établie conjointement par le gouvernement de Sierra Leone et l’ONU.
Cela dit, personne ne peut nier que l’Afrique est le continent où se focalisent le plus les investigations de la justice internationale. Pourquoi ? D’abord, il existe effectivement deux poids, deux mesures. Les dirigeants des grandes puissances, surtout les Américains, semblent à l’abri de la justice internationale. Les services américains ont commis des actes de torture, et des « disparitions » se sont produites à Guantánamo, à Abou Ghraib et dans des prisons secrètes. Pourtant, les architectes de ces crimes n’ont pas été inquiétés aux États-Unis. Et si des plaintes ont été déposées en Allemagne et en France contre Donald Rumsfeld pour son rôle confirmé dans l’approbation de techniques d’interrogatoires illégales, la France et l’Allemagne ont préféré ménager leur puissant allié plutôt que d’entreprendre des enquêtes. Enfin, on n’imagine pas un instant le Conseil de sécurité de l’ONU saisir la CPI des crimes américains (ou des crimes russes en Tchétchénie).
Cependant, la raison principale de cette « focalisation africaine » est tristement simple : le continent a été ravagé par les guerres à l’occasion desquelles des actes de barbarie furent impunément commis. Surtout, l’Afrique n’a pas la capacité ou la volonté de juger elle-même ces crimes, contrairement à l’Amérique latine où des tribunaux nationaux – en Argentine, en Uruguay et au Pérou – jugent actuellement leurs anciens dirigeants.
D’où l’impérieuse nécessité de construire des justices pénales indépendantes et compétentes pour juger ces atrocités. Car, en vertu du principe de subsidiarité, la CPI n’est compétente, et la compétence universelle n’a de sens, que si les juridictions nationales sont défaillantes ou s’il existe une volonté de protéger les auteurs de crimes. Autrement dit, on ne peut pas à la fois accuser la justice internationale de poursuivre des dirigeants africains et ne rien faire pour mettre un terme à l’impunité en Afrique.
De ce point de vue, l’affaire test pour la justice africaine est celle de l’ancien président du Tchad Hissein Habré. Des survivants, s’inspirant du précédent Pinochet, ont porté plainte contre lui au Sénégal. En 2000, un tribunal sénégalais a bien inculpé Habré pour crimes contre l’humanité, mais, après des interférences politiques dénoncées par l’ONU, les juridictions sénégalaises se sont déclarées incompétentes. L’affaire aurait pu s’arrêter là, et l’impunité en sortir renforcée, si les victimes n’avaient saisi la justice belge en vertu de sa loi de « compétence universelle ». Or, quand un juge belge a demandé l’extradition de Habré, le gouvernement sénégalais s’est tourné vers l’UA. Soucieuse d’éviter une extradition vers l’Europe, l’UA a demandé en juillet 2006 au Sénégal de poursuivre Habré « au nom de l’Afrique ». Plus de deux ans après, aucune poursuite n’a encore été engagée.
Oui, il faut mettre un terme à cette justice à géométrie variable. Mais si l’Afrique veut se défaire de sa dépendance judiciaire, il faut qu’elle montre qu’elle peut juger elle-même ses propres criminels. Dans cette perspective, le Sénégal doit faire du cas Habré un exemple symbolique.
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