Je t’aime, moi non plus

Publié le 27 mai 2007 Lecture : 5 minutes.

De Bruxelles à Paris en passant par Washington, tous les experts chargés de la coopération avec l’Afrique centrale vous le diront : la Cemac manque de cohésion. « Les États membres ne sont pas encore prêts à abandonner certaines de leurs prérogatives au profit de la communauté. En refusant de transférer une partie de leur souveraineté, ils bloquent le processus d’intégration sans qu’aucune mesure ne vienne sanctionner leur attitude. Seule une Cour de justice communautaire, dotée des moyens nécessaires pour faire respecter ses décisions, pourra les contraindre à relancer la machine. »
Les dirigeants d’Afrique centrale nourrissent une défiance évidente les uns vis-à-vis des autres. Ce sentiment, relayé par les cadres et les hauts fonctionnaires, trouve un écho au sein des populations, qui vivent relativement isolées les unes des autres et entretiennent souvent une méfiance réciproque. Cette absence de foi et cette concurrence permanente entre membres d’une même communauté s’expliquent notamment par des relations bilatérales parfois difficiles, comme en témoignent les récents accrocs survenus entre le Gabon et la Guinée équatoriale.
Longtemps considérés avec condescendance par leurs voisins librevillois, pratiquement vassalisés, les Équatoguinéens prennent aujourd’hui leur revanche sur un destin jusqu’ici peu souriant. Une embellie dopée par les pétrodollars qui survient juste au moment où l’extraction de l’or noir marque le pas au Gabon. Difficile, pour les proches d’Omar Bongo Ondimba, d’accepter la remise en cause du leadership de leur chef alors que c’est lui qui, dans les années 1980, intervint auprès de l’UDEAC pour y faire admettre Malabo. De moins en moins feutrée, la rivalité entre Libreville et Malabo a pris un nouveau tour avec le contentieux de Mbanié, un îlot de 30 hectares actuellement sous souveraineté gabonaise et revendiqué par la Guinée équatoriale. Vieux d’une trentaine d’années, le différend a été relancé par la course aux hydrocarbures, Mbanié étant situé dans une zone potentiellement riche en or noir, où le moindre bout de terre émergée suscite toutes les convoitises. Lors d’une rencontre en mai 2003, les deux pays ont envisagé un moment d’exploiter conjointement les ressources de cet îlot. Une médiation de l’ONU a même été menée par l’avocat canadien Yves Fortier, ancien ambassadeur aux Nations unies, sans résultats. Les discussions, qui devaient se poursuivre sous l’égide de l’ONU, se sont envenimées, pour être finalement ajournées à la fin de 2006. Si bien que la partie gabonaise serait décidée à abandonner les négociations pour porter le différend devant la Cour internationale de justice.

Les rapports entre Malabo et Yaoundé ne sont pas forcément plus cordiaux, même si, il y a quelques années, « Obiang Nguema et Biya passaient pour être les meilleurs amis de la sous-région », se souvient un journaliste camerounais. Il est vrai qu’il fut une époque où les deux chefs d’État se consultaient sur tous les sujets et ne se refusaient rien. Aujourd’hui, le président Obiang Nguema a cessé d’être un familier du palais d’Étoudi, surtout depuis que la Guinée équatoriale a ouvertement pris parti en faveur du Nigeria dans le conflit frontalier qui opposait Abuja à Yaoundé au sujet de la péninsule de Bakassi. « Le pétrole leur est monté à la tête », estiment certains dirigeants camerounais, qui parlent d’ingratitude, rappelant que, pendant des années, le Cameroun a aidé la Guinée équatoriale à joindre les deux bouts. « C’était l’époque où ce pays bouclait difficilement son budget », et aujourd’hui, le régime équatoguinéen n’a plus besoin de personne pour assurer ses fins de mois. Il entretient toutefois une proximité renouvelée avec le Cameroun : « Un axe Malabo-Yaoundé semble se mettre en place pour contrer l’influence gabonaise. Obiang Nguema, qui est issu de la communauté fang, joue essentiellement sur cette fibre pour tenter d’isoler Bongo et se rapprocher de Biya, qui appartient au même groupe ethnique que lui. »
Quant aux relations entre le Gabon et le Cameroun, elles demeurent polaires, malgré l’absence de conflit déclaré entre les deux pays : « La mésentente Libreville-Yaoundé constitue sans doute le plus gros problème de la Cemac. Si cette lutte de leadership devait se résorber, la Communauté pourrait enfin partir sur des bases saines. » Pourtant, « des six pays de la Cemac, le Cameroun est sans doute celui qui a le plus à gagner de l’intégration sous-régionale sur le plan des échanges commerciaux, affirme un conseiller du Premier ministre gabonais. Paradoxalement, c’est le pays qui met le moins d’enthousiasme à la construction communautaire. » Les Gabonais entretiennent une relation ambivalente et passionnelle avec le Cameroun : lorsqu’ils parlent de ce « voisin », leurs propos sont à la fois empreints de sévérité intransigeante et de fraternité désabusée. Petit pays au rayonnement diplomatique indéniable, le Gabon déploie un activisme qui agace le Cameroun, lui-même accusé à Libreville d’indolence et de désinvolture.

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Réelle ou fantasmatique, l’inimitié Biya- Bongo Ondimba alimente les conversations de Douala à Yaoundé. Certes, tout semble opposer ces deux chefs d’État : d’Omar Bongo Ondimba, les Camerounais retiennent surtout la francophilie inconditionnelle, le dynamisme diplomatique qui fait de l’ombre à Paul Biya et, surtout, le franc-parler, qui tranche avec la réserve et le flegme de leur président. Si le chef de l’État camerounais assiste rarement aux sommets de la Cemac, ses compatriotes ne lui en tiennent pas rigueur. Ses absences, en revanche, sont perçues par les Gabonais comme un signe d’arrogance et de mépris à l’égard de ses pairs, alors qu’une partie de l’opinion camerounaise les interprète comme une sorte de repli stratégique vis-à-vis d’une sous-région qui leur semble hostile à bien des égards. À preuve, les expulsions du Gabon ou de Guinée équatoriale dont sont l’objet leurs ressortissants. Et dans l’imaginaire de la majorité des Camerounais, la Cemac a plus besoin du Cameroun que le contraire. De ces préjugés découle un formidable gâchis. Car, s’il fonctionnait normalement, le binôme Gabon-Cameroun, constitué des deux premières économies de la Cemac, pourrait jouer un rôle déterminant dans le processus d’intégration en Afrique centrale. À l’image du couple franco-allemand pour l’Union européenne
Enfin, il faut ajouter à ces multiples blocages les initiatives du Congo, de la Centrafrique et du Tchad, membres « secondaires » qui pèsent tout de même lourd dans les décisions collectives, les chefs d’État disposant chacun d’une voix lors de l’adoption des décisions au sommet. D’autant que chacun, à son niveau, intervient individuellement et selon son propre agenda dans le jeu sous-régional. Parallèlement aux efforts « concertés » de la Cemac pour mettre un terme à la crise centrafricaine de 2002-2003, le Gabonais Omar Bongo Ondimba et le Congolais Denis Sassou Nguesso sont tous deux intervenus à Bangui pour tenter d’accélérer la réconciliation nationale, alors que le Tchadien Idriss Déby Itno a soutenu militairement la prise du pouvoir par François Bozizé en mars 2003. De quoi provoquer de sérieuses interférences. Enfin, il faut également tenir compte des influences de puissances régionales « périphériques » que peuvent subir les États membres, comme c’est le cas de Malabo avec le Nigeria ou de Brazzaville avec l’Angola. De quoi rendre encore plus complexes les relations intracommunautaires.

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