Ce qu’ils en pensent

Réactions et commentaires de différents acteurs du développement après la publication, le 11 mars, du rapport de la Commission mise en place par Tony Blair.

Publié le 27 mars 2005 Lecture : 8 minutes.

Un ancien directeur du Fonds monétaire international, Michel Camdessus ; un chanteur, Bob Geldof ; le président tanzanien Benjamin Mkapa ; le Premier ministre éthiopien Mélès Zenawi ; le secrétaire exécutif de la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique (CEA) K.Y. Amoako ; ou bien encore le ministre britannique des Finances Gordon Brown : la Commission pour l’Afrique, composée au total de dix-sept membres et présidée depuis un an par Tony Blair, se voulait hétéroclite. Pari gagné. De même que « l’affichage politique » savamment orchestré par les services du 10 Downing Street est une réussite. Le chef du gouvernement aime l’Afrique. Il fallait que cela se sache au moment où la Grande-Bretagne préside le G8.
En présentant, le 11 mars, le travail effectué par sa Commission, Tony Blair en a appelé à la conscience des pays riches : lutter contre la pauvreté est « un challenge moral fondamental de notre génération », a-t-il martelé. « L’Afrique ne peut pas attendre », peut-on lire en préambule de cette étude de 400 pages, considérée par ses promoteurs comme « une photographie de la réalité africaine », fidèle et dépourvue de « surprises majeures », prend soin de préciser Michel Camdessus. De fait, qu’il s’agisse du nouveau partenariat Nord-Sud fondé sur la confiance et la responsabilité, de la bonne gouvernance, de la transparence, de la lutte contre la corruption, ou bien encore de la prévention des conflits, ce qui devait être une « boîte à idées » a surtout recyclé des concepts déjà très en vogue. Les commissaires ont été en revanche plus ambitieux dans « leur discours de la méthode ». Pour maintenir un taux de croissance annuel de 7 % et créer ainsi suffisamment de richesses dans un continent où plus de 300 millions de personnes souffrent de la faim et de la pauvreté, le rapport préconise des investissements massifs dans les infrastructures, la santé, l’éducation et l’eau. Les sommes en jeu sont énormes. D’ici à 2010, il faut au moins doubler l’Aide publique au développement (APD), qui plafonne actuellement à 25 milliards de dollars par an en Afrique. Le chemin est encore long, mais plusieurs sources de financement sont retenues. Outre l’annulation de la dette pour les pays les plus pauvres, la Commission demande le lancement immédiat d’un emprunt sur les marchés financiers (International Financial Facilities, IFF) et évoque l’idée française d’une taxe sur les billets d’avion.
À cela s’ajoutent toute une série de réformes (suppression des subventions à l’exportation et des barrières douanières) pour réguler un commerce mondial dans lequel l’Afrique ne pèse que 2 %. Cet arsenal de mesures constitue, selon Gordon Brown, un véritable « plan Marshall pour l’Afrique ». Cette énième initiative a-t-elle une chance d’atteindre son objectif ? Pour tenter de répondre à cette question, nous vous livrons les réactions et les commentaires de différents acteurs du développement. Après les recommandations, voici venu le temps de l’action pour les uns et des contre-propositions pour les autres.

Seydou Bouda
Ministre burkinabè de l’Économie et du Développement
« Concernant l’Aide publique au développement (APD), qui passerait à 50 milliards de dollars par an, nos efforts doivent porter sur son utilisation, car son affectation n’est pas toujours très efficace. La responsabilité est partagée. Les pays du Sud doivent renforcer leurs capacités d’absorption et réformer leurs administrations, les institutions de Bretton Woods, simplifier les procédures. Si tout cela est mis en oeuvre, l’Afrique pourra mieux s’intégrer dans l’économie mondiale. Il va de soi que la bonne gouvernance est l’une des conditions pour rassurer bailleurs et investisseurs. Au Burkina, l’APD dépasse 400 millions de dollars chaque année, et nos priorités sont la santé, l’éducation et les infrastructures. »

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Ngozi Okonjo-Iweala
Ministre nigériane des Finances
« Passez à l’acte ! »
« Le rapport de la Commission souligne les bonnes nouvelles qui viennent du continent. Beaucoup de pays se sont lancés dans la lutte contre la corruption et se concentrent sur la bonne gouvernance. Il faut insister, et c’est ce que fait ce rapport : l’Afrique change, et le monde ne peut pas se permettre de l’abandonner en si bon chemin. Même s’il présente des options déjà entendues ailleurs, le rapport met l’accent sur deux mesures
fondamentales. D’abord l’importance du développement des infrastructures. Ensuite l’allègement de la dette. Il établit un lien clair entre cette dernière mesure et les ressources nécessaires pour réaliser les Objectifs du millénaire, lien que beaucoup de pays occidentaux nient par hypocrisie. Pour nombre de pays africains, l’annulation de la dette n’est ni un luxe ni une alternative, c’est une nécessité. Maintenant, les Africains
espèrent que cette analyse clairvoyante sera suivie d’une mise en uvre planifiée et réaliste. »

James Wolfensohn
Président de la Banque mondiale
« Sans l’accord des Américains, ce sera difficile »
« Le groupe de la Banque mondiale appuie résolument le rapport de la Commission pour l’Afrique et espère que la communauté internationale s’efforcera de promouvoir l’application de ses principales recommandations […], en accroissant substantiellement son aide et ses efforts pour réduire la dette, mais aussi en facilitant l’accès à ses marchés. » Voilà pour le discours officiel. À première vue, l’institution de Bretton Woods partage les propositions de Tony Blair et ajoute même qu’elle est « prête à accroître l’envergure de son appui à l’Afrique ». Mais lorsque son président, James Wolfensohn, s’exprime de façon plus informelle devant un parterre de journalistes, sa parole devient plus libre et moins consensuelle. « L’argent doit être bien utilisé et les pays riches doivent enfin tenir leurs promesses en affectant 0,7 % de leur PIB à l’aide au développement », déclare le futur retraité, qui quittera ses fonctions en juin prochain et qui a bien du mal à masquer son agacement devant le décalage permanent entre les discours et les actes en matière de lutte contre la pauvreté. « Pour moi, la meilleure réponse reste la hausse des contributions des pays riches effectivement versées sur le terrain. Cela changerait tout quelle que soit la technique employée, qu’il s’agisse de la proposition française d’une taxe mondiale ou bien de la Facilité de financement internationale britannique. Les deux sont réalisables, mais sans l’accord des Américains, ce sera très difficile. »

Anthony Bouthelier
Président délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian)
« Il faut en finir avec les éléphants blancs »
Plus radical dans son jugement que Michel Roussin (voir p. 68), Anthony Bouthelier s’interroge : « L’Afrique a-t-elle besoin d’un plan Marshall ? » Une question qui cache en fait une certitude. « Ce n’est pas l’argent qui manque en Afrique puisque c’est la région du monde qui a reçu le plus d’aide depuis une trentaine d’années, poursuit celui qui a fait une partie de sa carrière en Asie et qui en a tiré quelques enseignements.
Regardez le Japon après la Seconde Guerre mondiale. Il a fondé sa reprise économique sur le secteur privé. Même la Chine communiste a fait ce choix. Si on veut en finir avec les éléphants blancs et les investissements qui ne servent à rien en Afrique, les entrepreneurs doivent être en première ligne, car ils ont la culture du résultat. »

Jean-Marie Fardeau
Secrétaire général du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD)
« On a oublié la société civile »
« Il faut en finir avec le discours qui laisse entendre que l’aide ne sert à rien », tranche Jean-Marie Fardeau, secrétaire général du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) et président de la commission « Aide au développement » au sein de Coordination Sud. « J’étais au Mali dernièrement. Sans financement européen, la nouvelle route reliant Bamako à Kayes n’aurait jamais vu le jour. Ces soutiens sont
nécessaires pour lancer des dynamiques de développement. »
Sur ce point, l’analyse est partagée par la plupart des cénacles : il faut donner « une forte impulsion », selon Coordination Sud, « a big push », selon la Commission pour l’Afrique, « un changement qualitatif et quantitatif majeur », selon Michel Camdessus.
Mais dépassée cette belle unanimité, les divergences ne tardent pas à poindre. L’annulation de la dette doit être supervisée par « un organisme indépendant, car les bailleurs sont juge et partie ». La Facilité de financement internationale (IFF) n’est qu’une « solution provisoire qui ne règle rien à long terme ». La taxe sur les billets d’avion, enfin, n’est qu’un « gadget ».
Pour Jean-Marie Fardeau, la Commission a soigneusement passé sous silence la seule mesure efficace si on veut véritablement débloquer les ressources nécessaires : prendre l’argent
là ou il se trouve avec un prélèvement sur les transactions financières. « Il y a, sur ce point, un manque évident de volonté politique. » Concernant la réforme du commerce international, outre la suppression des subventions à l’exportation et des barrières douanières, il convient de revenir à la politique du « juste prix pour permettre aux
producteurs de vivre de leur travail ». Mais le plus grave réside dans l’esprit général du rapport. « Cette Commission oublie les populations et ne mise pas assez sur la société civile. Le développement ne peut pas être une mécanique. C’est à l’Afrique de dire comment
elle voit son avenir. »

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Samir Amin
Président du Forum du Tiers Monde, bureau de Dakar
« Une impression de déjà-vu »
« J’ai une opinion très négative de l’approche de Tony Blair et de sa Commission pour l’Afrique. C’est du déjà-vu, déjà-entendu. La Banque mondiale n’aurait pas dit autre chose. La Commission a ignoré la nature des problèmes des Africains, qui sont les conséquences des politiques mises en oeuvre par le système dominant. Pour moi, cette Commission n’a aucun intérêt. C’est une initiative britannique, c’est tout. La totalité des Africains présents à la réunion sur la Commission à laquelle nous a invités le Codesria (Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique) était de mon avis. Blair n’a convié dans sa Commission que des gens du système et aucune force d’opposition réelle. Il fallait inviter les forces vives des sociétés africaines, les syndicats, les organisations paysannes, les personnalités qui représentent cette société civile. Et leur demander quelle était leur analyse des problèmes africains et la raison de la détérioration des conditions de vie sur le continent. Ce n’est qu’un rapport de plus qui n’aura aucune conséquence. »

Michel Roussin
Vice-président du groupe français Bolloré
« Rien ne se fera sans le privé »
Mais là n’est pas l’essentiel. Michel Roussin estime que « le secteur privé a un rôle primordial dans la relance de l’économie africaine. Pour cela, les investisseurs doivent être associés à l’élaboration des programmes et non pas seulement sollicités lorsque tout a été décidé. Cela éviterait bon nombre de gaspillages ». Malgré les mauvais exemples donnés par certains pays en matière de gouvernance, le numéro deux de Bolloré et vice-président du Medef international se veut optimiste sur l’environnement des affaires en Afrique : « Il y a une prise de conscience, le droit des affaires s’améliore. C’est déjà un premier pas. »

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